Samuel B. H. Faure est maître de conférences en science politique, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye (Cergy Paris Université), CY Cergy Paris Université
En 2024, des élections ont été tenues dans une soixantaine de pays: il s’agit d’un fait historique inédit. Ces scrutins présidentiels et législatifs qui se sont déroulés au sein des espaces politiques nationaux ont produit des effets sur l’espace mondial, au premier rang desquels une contestation montante de l’ordre international libéral par les urnes. 2024 a été marquée par des scrutins majeurs dans plusieurs des pays les plus peuplés de la planète: aux États-Unis bien sûr, mais aussi en Inde, en Indonésie, au Pakistan, au Bangladesh, au Mexique ou encore en Russie.
Ce sont au total une soixantaine d’États, aux régimes démocratiques comme aux régimes autoritaires, qui ont tenu cette année des élections législatives, présidentielles et des référendums. Hormis les cas précédemment cités, le fait électoral s’est aussi présenté en Azerbaïdjan, en Autriche, au Portugal, au Royaume-Uni, au Sénégal, à Taïwan, au Tchad ou encore en Tunisie, liste non exhaustive. Ainsi, près de 45% de la population mondiale a été appelée aux urnes en 2024. Jamais dans l’histoire de l’humanité autant d’élections nationales n’avaient été tenues lors de la même année. Ces élections nationales ont fait élire ou réélire des parlementaires, des chefs d’État et de gouvernement, de Keir Starmer à Donald Trump en passant par Narendra Modi. Tous ces faits politiques ne sont pas restés confinés à l’échelle nationale; ils ont également produit des effets politiques internationaux.
L’effet des élections nationales sur l’espace politique mondial
Le 6 novembre 2024, une majorité de citoyens des États-Unis a décidé de la réélection de Donald J. Trump. Par ce choix, les citoyens étatsuniens ne se sont pas seulement prononcés sur l’orientation politique à donner pour réformer leur pays lors des quatre prochaines années en matière d’éducation, de santé publique, de sécurité intérieure, ou encore de pouvoir d’achat. Ce résultat électoral va aussi avoir des répercussions politiques sur l’espace mondial. Alors que l’administration Biden a soutenu les forces armées ukrainiennes depuis le début de la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie, Donald Trump a annoncé lors de sa campagne électorale qu’une fois élu il mettrait fin à la livraison d’armes à Kiev, préférant «négocier la paix» directement avec le président russe, Vladimir Poutine. S’il ne s’agit pas de prendre pour argent comptant des déclarations de campagne, on remarquera que Trump continue de défendre cette position depuis sa victoire.
Le résultat de l’élection américaine pourrait également avoir des effets politiques majeurs au Proche-Orient. Donald Trump n’a eu de cesse de soutenir le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, y compris dans le contexte de la guerre à Gaza. Il a d’ailleurs nommé ambassadeur des États-Unis en Israël Mike Huckabee, connu pour être favorable à la colonisation. Lors de son premier mandat, Trump avait déjà pris plusieurs décisions allant dans le sens du Premier ministre israélien. D’autres victoires électorales, ailleurs dans le monde, auront évidemment elles aussi des effets régionaux ou mondiaux notables, qu’il s’agisse de triomphes annoncés car produits dans des pays non démocratiques (la réélection de Vladimir Poutine en Russie ou celle de Nicolas Maduro au Venezuela) ou de résultats obtenus après une compétition politique à la loyale (Claudia Sheinbaum élue au Mexique ou Maia Sandu en Moldavie, entre autres exemples).
L’effet des élections internationales sur l’espace politique national
Lors de l’année 2024, ont également eu lieu les élections européennes: le 9 juin, près de 180 millions de citoyens de l’Union européenne (UE) se sont déplacés aux urnes pour élire les 720 députés appelés à siéger au Parlement européen. Le taux de participation, 51%, a été à son plus haut niveau depuis deux décennies. La coalition sortante formée par les conservateurs (PPE, 176 sièges), les sociaux-démocrates (S&D, 139 sièges) et les libéraux (Renew, 102 sièges) s’est maintenue, ce qui a permis à Ursula von der Leyen d’obtenir un second mandat à la tête de la Commission européenne.
Ces élections qui se sont soldées par une relative stabilité du rapport de forces politiques à l’échelle de l’UE ont, pourtant, produit des effets majeurs sur la vie politique nationale de certains États membres. En France, le score historique du Rassemblement national (RN) emmené par Jordan Bardella, qui a obtenu 31,37% des suffrages exprimés (soit 30 sièges sur les 81 attribués à la France au Parlement européen) a décidé le président Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale. Pourtant, celui-ci affirmait encore quelques semaines avant cette échéance électorale que les élections européennes ne représentaient pas un enjeu de politique nationale.
À la suite du second tour des élections législatives anticipées qui s’ensuivirent, l’Assemblée est apparue, le 7 juillet, sans majorité. Il aura fallu plus de deux mois – un record sous la Ve République – afin que l’exécutif constitue un gouvernement dirigé par Michel Barnier. Après seulement trois mois d’exercice, le gouvernement de Michel Barnier est tombé le 5 décembre 2024 après une motion de censure adoptée par l’Assemblée nationale, pour la première fois depuis 1962. François Bayrou, qui a été nommé Premier ministre le 13 décembre, vient de former un gouvernement dont l’espérance de vie suscite déjà quelques doutes chez les observateurs. Au-delà de ce «jeu d’échelles» aboutissant à ce que des élections nationales produisent des effets politiques sur l’espace mondial et que, concomitamment, des élections internationales façonnent la vie politique nationale, les élections qui se sont déroulées en 2024 dans les régimes démocratiques ont aussi été une ressource politique mobilisée par certains acteurs pour contester l’État de droit et l’ordre international libéral dans son ensemble.
Contester l’ordre international libéral au sein des régimes démocratiques
Les élections qui se sont tenues dans des régimes autoritaires ou dans des États «faillis» caractérisés par la faiblesse de leurs institutions n’ont pas abouti à des alternances du fait de l’absence de compétition politique. En mars dernier, Vladimir Poutine a été réélu président de la Russie avec plus de 87% des suffrages exprimés; en mai, Mahamat Idriss Déby a été réélu chef de l’État tchadien en obtenant 61% des voix dès le premier tour; en juin, le président mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, a lui aussi été réélu dès le premier tour, avec 56,1% des voix exemples parmi d’autres, là encore.
Au contraire, un clivage politique a été observé lors des élections tenues dans des régimes démocratiques entre des candidats «libéraux», d’un côté, et «populistes», de l’autre. Les premiers se sont présentés comme les «gardiens» de l’État de droit et de l’ordre international libéral, tandis que les seconds se sont approprié des pratiques et des idées politiques «illibérales» importées, pour partie, des régimes autoritaires. Ainsi, l’année 2024 a confirmé que l’espace mondial ne se réduisait pas à une rivalité entre des États «libéraux» d’un côté, et des États «autoritaires» de l’autre. Au sein même des États «libéraux» disposant d’un régime démocratique, la compétition politique s’est renforcée entre un «camp libéral» et un «camp illibéral», comme lors des élections qui se sont déroulées en Moldavie et en Géorgie, en octobre dernier.
En Moldavie, la présidente sortante, pro-européenne et de centre-droit, Maia Sandu, a été réélue contre Alexandr Stoianoglo qui défendait une ligne populiste, eurosceptique et pro-Kremlin. Lors d’un référendum organisé en parallèle de l’élection présidentielle, les Moldaves se sont prononcés sur l’inscription dans leur Constitution de l’adhésion de leur pays à l’UE. Le «oui» l’a emporté d’une courte tête, avec 50,35% des suffrages – tandis que des accusations d’ingérence et d’achats de vote par la Russie ont été soulignées par les autorités de Chisinau.
Finalement, l’année 2024 a confirmé que le fait électoral n’est pas confiné dans l’espace politique national mais dispose d’une dimension internationale. Les élections nationales produisent des effets politiques au sein de l’espace mondial, d’une part, et les élections internationales conditionnent la vie politique nationale des États, d’autre part. Au sein des régimes démocratiques, les élections constituent une ressource politique utilisée par certaines forces partisanes «illibérales» pour contester l’État de droit et l’ordre international libéral. Ces partis politiques et les électeurs incarnent d’autres maillons politiques des interdépendances internationales qui associent et opposent États, organisations internationales, grandes entreprises, ONG, médias, etc., au sein de l’espace mondial. L’avenir des relations internationales lors des années 2020 se jouera aussi là où on ne l’attend pas, par les usages politiques qui seront faits des élections nationales…
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation