Deux femmes médecins, Sandrine Atallah et Gaël Abou Ghannam, se donnent pour mission d’informer les femmes arabes de manière innovante, avec des mots simples et scientifiques à la fois. Rencontre virtuelle.
orsqu’une gynécologue obstétricienne et une sexologue hypnothérapeute se rencontrent, cela donne un espace numérique sécurisé dédié à l’information des femmes du Liban et du monde arabe sur leur sexualité et leur santé reproductive. Une première dans la région. En septembre dernier, deux femmes médecins libano-françaises, Gaël Abou Ghannam et Sandrine Atallah, remportaient haut la main le prix Femme francophone entrepreneure 2023. Leur projet Metle Metlik (Juste comme toi), qui sensibilise les femmes et brise les tabous au passage, avait alors séduit le jury. Le prix a été remis à Beyrouth par l’Agence universitaire de la francophonie au Moyen-Orient (AUF) et l’incubateur Berytech, en partenariat avec L’Orient-Le Jour.
Quatre mois plus tard, la plateforme Metle Metlik prend forme en arabe et en anglais. Elle propose déjà un blog d’accès libre sur des sujets liés à la sexualité féminine, l’estime de soi sur le plan sexuel, la grossesse, l’endométriose, le vaginisme… Avec, pour les personnes soucieuses d’en savoir plus, un programme informatif détaillé sur le vaginisme, trouble sexuel qui affecte les femmes.
Prédominance de normes culturelles et religieuses
Au menu de ce premier cours payant, 35 vidéos de trois heures au total préenregistrées par les deux médecins, accompagnées d’exercices et d’outils de réflexion, avec la possibilité de bénéficier de séances individuelles en ligne, d’échanger avec d’autres abonnées et d’assister à des webinaires en direct.
Pourquoi le vaginisme comme programme de départ? Parce qu’au cours de leurs consultations cliniques et de leurs interventions sur les réseaux sociaux, les deux praticiennes, mieux connues sous les patronymes de Dr Sandrine et Dr Gaël, ont réalisé que ce problème était particulièrement répandu, que les femmes attendaient des réponses compréhensibles, mais n’osaient pas poser de questions.
«Le vaginisme est un problème sexuel majeur au Moyen-Orient. 10 à 15% des femmes de la région en souffrent lors de rapports sexuels. Il est lié au manque d’éducation et à la prédominance de normes culturelles et religieuses», précise Dr Sandrine, sexologue et hypnothérapeute. «Notre objectif est d’informer les femmes sur leur sexualité, de les sensibiliser à leur santé sexuelle et reproductive et de faire la chasse aux fausses croyances. Notre méthode est innovante et notre discours est scientifique et simple à la fois», renchérit Dr Gaël, gynécologue et obstétricienne.
Pour le tandem, ce «premier programme lancé en douceur est un test», destiné à voir si les femmes vont adhérer au concept. Une cinquantaine en ont déjà fait l’acquisition depuis novembre dernier en l’absence de toute campagne marketing ou médiatique. «Les premières réactions sont positives. Des femmes ont déjà fait état d’une amélioration de leur vie sexuelle», affirme Dr Gaël. Principalement trentenaires, les abonnées sont libanaises pour la moitié d’entre elles, l’autre moitié étant constituée de Saoudiennes, Koweïtiennes, Égyptiennes ou Syriennes.
Star des réseaux sociaux
Déjà, les deux médecins lancent les prochaines publications. «Pour grandir, nous devons fournir aux femmes suffisamment de contenu et de choix qui répondent à leurs besoins», explique Gaël Abou Ghannam. Deux programmes ont été lancés en février, sur l’information des femmes avant le mariage et la santé sexuelle des femmes à travers le yoga. Un troisième sur les bases d’une vie sexuelle épanouie verra bientôt le jour.
«Les dernières vidéos filmées par des professionnels devraient être publiées fin mars». Suivront des programmes sur la préparation à l’accouchement, sur la période post-partum, avec de nouvelles intervenantes, notamment une physiothérapeute et une spécialiste de l’allaitement. «Nous insistons sur la clarté et la qualité du message», précise Sandrine Atallah.
Pour faire connaître Metle Metlik, les praticiennes mettent leur notoriété acquise en dix ans de carrière au service de leur projet commun. Star des réseaux sociaux, habituée des programmes télévisés, Dr Sandrine, première sexologue libanaise, féministe de surcroît, est suivie par quelque 3,7 millions d’abonnés sur TikTok et plus d’un demi-million d’abonnés sur Instagram où elle intervient sur divers sujets liés à la sexualité, au plaisir, aux fantasmes féminins, à l’homosexualité… De son côté, Dr Gaël, spécialiste en infertilité, tout autant féministe, compte plus de 43.000 followers sur Instagram où elle informe, au moyen de courtes vidéos, sur la sexualité et la fertilité, sur le port du préservatif, le développement des capacités des femmes, la contraception…
«La difficulté de trouver les bons mots»
LE caractère tabou de la sexualité est aussi à prendre en considération. Non seulement, les femmes hésitent à faire confiance à une plateforme en ligne, mais il est très compliqué de faire du marketing et de la publicité sur les réseaux sociaux pour une plateforme qui parle de sexualité. «Tout contenu explicite est immédiatement censuré, d’où la difficulté de trouver les bons mots», révèle Dr Sandrine. Par ailleurs, les cours en ligne ne sont pas une pratique courante au Moyen-Orient. «À nous de lancer cette culture et d’accompagner le mouvement», souligne-t-elle, évoquant la possibilité d’inviter des spécialistes arabes à apporter leur contribution. Pour les deux spécialistes, la tâche est immense, en plus de leurs activités professionnelles. «Pour mieux nous pencher sur notre stratégie, il est temps de commencer à déléguer certaines tâches», conclut Dr Gaël. Elles rentrent juste de Dubaï où elles ont participé à une exposition sur les startups digitales, ponctuée de rencontres avec de potentiels investisseurs et des mentors technologiques.
Plus de 12.000 abonnés en quelques mois
Sur la plateforme Metle Metlik et les réseaux sociaux, les deux médecins multiplient les vidéos et textes explicatifs, de la maternité à la menstruation, de la ménopause aux cancers du col de l’utérus et du sein, des maladies sexuellement transmissibles au dépistage contre le VIH… En quatre mois, le compte Instagram de la plateforme a réuni plus de 12.200 abonnés «triés sur le volet pour éviter toute forme de harcèlement», précise Dr Gaël. Dr Sandrine avait en effet été victime de harcèlement sur les réseaux sociaux, suite à ses interventions, ce qui l’a poussée à prendre ses distances. «Notre mission première est d’informer, de sensibiliser, de conseiller, d’où l’accessibilité des données, rappelle Dr Gaël. Les femmes qui voudront en savoir plus sont invitées à se rendre sur la plateforme et à se procurer le programme qui les intéresse».
Gaël Abou Ghannam et Sandrine Atallah se disent «pressées», toutefois. Elles voudraient que les choses aillent encore plus vite, que leur plateforme devienne rapidement une référence pour les femmes arabes du monde entier. Car leur développement est quelque peu ralenti par nombre de défis. À commencer par la difficulté de créer un site web performant et sécurisé doté d’un mode de paiement valide au Liban, dans un contexte de restrictions imposées par le secteur bancaire depuis la crise financière (2019). Sans oublier le coût élevé du développement technologique. «Nous avons investi les 8.000 dollars remportés avec le prix Femmes francophones dans la création du site web définitif qui doit voir le jour en avril. Nous recherchons activement des financements pour le reste de nos opérations», souligne Dr Gaël.
Par Anne-Marie El-Hage