Au cours des dix dernières années, tous les survivants et secouristes des attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York qui ont développé un cancer par la suite ont pu bénéficier de compensations financières du gouvernement américain pour leurs soins médicaux. Tous, sauf les femmes atteintes du cancer de l’utérus.
Suite à la publication d’une enquête du Fuller Project, le ministère de la Santé américain a ajouté le cancer de l’utérus à sa liste des pathologies couvertes par son programme en charge du suivi et du traitement de celles et ceux qui ont vécu et travaillé dans le quartier de Ground Zéro -ces près de 4 km2 de New York où les tours jumelles du World Trade Center se sont effondrées suite au crash d’avions détournés, et sur lesquels des débris cancérigènes sont restés pendant des mois.
Début 2024, plus de 318 patientes atteintes du cancer de l’utérus ont enfin pu bénéficier d’un accès aux traitements, ainsi qu’à un suivi médical et ont pu prétendre au fonds d’indemnisation des victimes.
«Nous sommes soulagées, nous pouvons enfin souffler en sachant que de nombreuses femmes vont désormais toucher les indemnités qui leur sont dûes», réagit Tammy Kaminski, chiropracticienne dans le New Jersey, elle-même bénévole pendant plusieurs mois sur le site de Ground Zero avant d’être diagnostiquée d’un cancer de l’utérus en 2015.
Systématiquement exclues du World Trade Center Health Program
Le cancer de l’utérus a finalement été ajouté à la liste des pathologies prises en charge après la publication de plusieurs articles du Fuller Project et de ses partenaires qui dénonçaient la manière dont les femmes étaient systématiquement exclues du World Trade Center Health Program, le programme créé pour la prise en charge des soins médicaux à la suite des attentats.
La raison invoquée quant à l’exclusion des cancers de l’utérus: «l’insuffisance de preuves» permettant d’établir un lien de causalité avec les attentats du 11 septembre. Pourtant, les enquêtes menées par le Fuller Project et ses partenaires (dont Reckon, The Star-Ledger/NJ.com et The Cut), ont révélé que le manque de données était dû au petit nombre de femmes incluses dans le programme à son lancement, ce qui a faussé les données et finalement exclu certaines pathologies touchant uniquement les femmes.
Le programme du ministère de la Santé s’appuie en effet sur ses propres données pour établir les causes des maladies et leur prise en charge. Ainsi, le cancer de l’utérus, tout comme d’autres pathologies exclusivement féminines, telles que certaines maladies auto-immunes, n’ont pas été prises en compte puisque les patients suivis, essentiellement des hommes, n’en souffraient pas. Les femmes sont devenues les victimes collatérales d’un problème systémique de la recherche médicale: s’il n’existe pas de données permettant de prouver le lien de causalité pour les pathologies féminines, c’est parce qu’elles n’ont jamais été collectées.
À la suite de l’enquête collaborative du Fuller Project, Frank Pallone, membre de la Chambre des représentants américain, a adressé une lettre au secrétaire à la Santé, Xavier Bacerra, et John Howard, administrateur du World Trade Center Health Program, pour les exhorter à agir sur ce dossier. Frank Pallone est membre du comité de la chambre des représentants en charge de l’Énergie et du Commerce, compétent en matière de santé au niveau fédéral. Sa circonscription dans le New Jersey est par ailleurs le lieu de résidence de nombreux survivants et premiers répondants sur les lieux des attentats du 11 septembre.
Un peu plus d’une semaine après l’envoi de cette lettre, le ministère de la Santé décrétait officiellement que les patientes atteintes du cancer de l’utérus pouvaient dès à présent prétendre aux compensations financières du programme, en ajoutant qu’«un report de la date d’entrée en vigueur de cette mesure mettrait en péril la capacité du programme à fournir des traitements efficaces et assurer des taux de survies favorables aux patientes concernées».
Travail collaboratif obstiné
L’enquête et ses répercussions sont le fruit d’un travail collaboratif obstiné au sein de la rédaction. Pendant quatre ans, la journaliste Erica Hensley, en partenariat avec le Fuller Project, a révélé les lacunes du programme gouvernemental, suivi le processus politique pour y inclure le cancer de l’utérus, et dénoncé le retard des politiques qui, six mois plus tard, n’avaient toujours pas tenu leur promesse d’ajouter les femmes atteintes d’un cancer de l’utérus à la liste des personnes couvertes. Notre dernier article publié en janvier 2023, qui pointait du doigt ce retard, a été présenté à Frank Pallone et à ses électeurs. C’est ce qui a enfin poussé le gouvernement fédéral à agir.
«Aujourd’hui, on a rendu justice à ces femmes»
Les militants engagés dans la sensibilisation au cancer de l’utérus voient dans cette nouvelle mesure une belle occasion de faire connaître le programme de remboursement des soins des victimes du 11 septembre à ceux qui pourraient y prétendre. Mais aussi, plus largement, de faire de la prévention au sujet des cancers de l’utérus, dont le diagnostic souvent tardif ou lacunaire peut mener à des complications.
«On leur avait dit que l’air était sain. On leur avait dit que leur cancer n’avait rien à voir avec le 11 septembre», rapporte Matthew Baione, un avocat américain qui a été l’un des premiers à plaider en faveur de l’inclusion du cancer de l’utérus dans le programme. «Aujourd’hui, on a rendu justice à ces femmes qui ont désormais accès à des soins médicaux gratuits, et ainsi, statistiquement, peuvent espérer vivre plus longtemps».