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Endométriose: Combattre les tabous autour de la souffrance des femmes

Par L'Economiste | Edition N°:6722 Le 12/03/2024 | Partager

Depuis l'adolescence, Maria Eugênia Costa, une enseignante de 32 ans, se plaint de crampes intenses, de douleurs dans les jambes et le bas du dos, de fatigue extrême, de troubles gastro-intestinaux et même d'évanouissements.

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Après dix ans de souffrance, Maria Eugênia Costa se voit finalement diagnostiquer de l'endométriose (Crédit: Mathilde Missioneiro/Folhapress)

Après dix ans de souffrance et l'ablation d'un ovaire, cette habitante de Ribeirão Preto, dans le sud-est du Brésil, se voit finalement diagnostiquer de l'endométriose, une maladie inflammatoire incurable qui se caractérise par le développement de tissus semblables à l'endomètre [la muqueuse de l'utérus] à l'extérieur de l'utérus.

«Cela a été très difficile d'obtenir un diagnostic. J'ai consulté plusieurs gynécologues et les services d'urgence de nombreux hôpitaux; ils m'ont dit que je souffrais d'une infection intestinale ou pelvienne, que j’étais stressée ou que j’avais un kyste», se rappelle aujourd’hui Maria Eugênia Costa. Ce n’est qu’en 2017, une fois adulte, qu’elle trouve finalement un médecin spécialisé et peut recevoir un traitement adapté.

Selon l'Organisation mondiale de la santé, une femme sur dix souffre d'endométriose dans le monde, ce qui équivaut à 190 millions de personnes en âge de procréer. Cette maladie chronique peut conduire à la dépression, à l'anxiété et à la stérilité.

Paula Moraes, une avocate de 42 ans, découvre qu'elle souffre d'endométriose en 2012, alors qu'elle essaie de tomber enceinte. «J'avais de fortes crampes et un flux menstruel très abondant depuis l'adolescence. À l'époque, je masquais ces symptômes en prenant la pilule contraceptive en continu. Je ne savais pas qu'il s'agissait d'endométriose. Lorsque j'ai arrêté de prendre la pilule, les crises sont revenues de plus belle», explique-t-elle.

En 2014, Paula Moraes a une crise d'appendicite. «Lorsque la biopsie est revenue, ils ont identifié des lésions d'endométriose au niveau de l'appendice. Au cours de l’opération, le chirurgien a également retiré des lésions au niveau d'autres organes. Je continue aujourd'hui à recevoir un traitement et à vivre avec la peur de devoir subir une nouvelle opération à tout moment», raconte-t-elle.

Paula Andrea Salles Navarro, professeure au département de gynécologie et d'obstétrique de la faculté de médecine de Ribeirão Preto à l'université de São Paulo, explique qu'une endométriose non diagnostiquée et non traitée peut provoquer – en plus des dysménorrhées et des difficultés à tomber enceinte –  des séquelles allant de la douleur lors de la pénétration sexuelle [dyspareunie] à la présence de sang dans les urines et les selles, jusqu’à une inflammation de l'appendice en cas d'occlusion intestinale.

«Les crampes menstruelles sont l’un des symptômes de l’endométriose, surtout lorsqu'elles sont intenses et progressives et qu'elles persistent même après que les femmes ne soient plus en âge de procréer», précise Paula Andrea Salles Navarro, qui travaille aussi à l'hôpital das Clínicas de Ribeirão Preto et qui est également présidente de la Société brésilienne de procréation humaine.

Les patientes prises en charge par le système de santé publique sont invitées à consulter un gynécologue ou leur médecin de famille si elles présentent l'un des symptômes de la maladie. «[Le médecin] procédera à une évaluation clinique et à un examen physique de la patiente et demandera à ce que soient effectués des tests préliminaires; si une intervention chirurgicale est indiquée, la patiente sera orientée vers une unité ou un service spécialisé qui en pratique». En cas de difficulté à tomber enceinte, les chances de bénéficier d'une prise en charge médicale via le système de santé publique sont moindres, bien qu'elles existent.

Selon les recommandations sur l'endométriose de la Société européenne de reproduction humaine et d'embryologie publiées en 2022 et proposant une revue complète de la littérature scientifique sur le sujet et plus d'une centaine de préconisations, les professionnels de la santé doivent être préparés à poser un diagnostic et à aborder le problème dans le cadre de discussions plus générales sur l’adolescence, la ménopause, la grossesse et la fécondité.

En ce qui concerne les retards de diagnostic comme celui qu'a subi Maria Eugênia Costa, Paula Andrea Salles Navarro explique qu'il existe effectivement des cas où les symptômes d'endométriose peuvent être sous-estimés par les professionnels de santé. Mais elle estime qu'il y a aussi un manque de disponibilité dans les centres d’imageries médicales qui réalisent des examens de haute qualité nécessaires au diagnostic de cette maladie.

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Après dix ans de souffrance, Maria Eugênia Costa se voit finalement diagnostiquer de l'endométriose (Crédit: Mathilde Missioneiro/Folhapress)

La professeure estime que l'aggravation de l'état de Maria Eugênia Costa est due à un mélange de négligence médicale, de méconnaissance de l'endométriose dans les établissements de soin, de manque d'attention aux symptômes de cette maladie ainsi que  d’accès restreint aux spécialistes et aux examens spécifiques pour cette pathologie. «De manière générale, je pense que la douleur des femmes a toujours été très normalisée, ce qui entrave considérablement le diagnostic de l'endométriose. D’abord parce que les femmes pensent qu'il est normal de ressentir de la douleur; elles se disent souvent que “c'est un phénomène féminin” et que “les règles font toujours mal”. Ensuite parce que nous finissons par masquer de nombreux symptômes avec des médicaments sur ordonnance sans penser au fait que la maladie continue de progresser», analyse-t-elle.

Après de nombreuses séances de physiothérapie et des recherches approfondies sur sa maladie, Maria Eugênia Costa explique qu'elle a surmonté certains déclencheurs, notamment ceux qui affectent les relations sexuelles; mais cette pathologie continue de nuire à sa qualité de vie. «Les femmes atteintes d'endométriose se privent de beaucoup de choses, et le traitement est très coûteux car il est très difficile d'y avoir accès dans le cadre du système de santé publique, confie-t-elle. Je suis souvent obligée de louper des jours de travail et des événements sociaux, et je suis souffrante durant mes voyages. C'est imprévisible. L'endométriose a affecté mes relations amicales et amoureuses.»

                                                      

Impératif d'investir dans l'éducation et de sensibiliser le grand public

Au Royaume-Uni, une enquête menée en 2023 par Endometriosis UK auprès de 2.000 personnes a montré que 75% des femmes présentant des symptômes d'endométriose ne consultent pas de professionnels de santé et que plus d'un cinquième d'entre elles craignent de ne pas être prises au sérieux par les médecins. Cela montre que les questions liées aux règles et à la santé menstruelle sont encore taboues. Dans un article publié l'année dernière dans la revue Nature, des chercheurs américains et britanniques ont souligné la nécessité de mettre en place des politiques de santé mondiales axées sur cette maladie inflammatoire «peu connue» et «sous-diagnostiquée», bien qu'elle soit fréquente. Paula Andrea Salles Navarro, professeure au département de gynécologie et d'obstétrique de la faculté de médecine de Ribeirão Preto à l'université de São Paulo, est une spécialiste de l'infertilité et de la procréation médicalement assistée. D'après elle, il est impératif d'investir dans l'éducation et de sensibiliser le grand public à ce problème. «L'endométriose est une maladie très énigmatique car certaines patientes sont asymptomatiques et ses manifestations cliniques peuvent être très variées», explique-t-elle. Dans un article scientifique qu'elle a coécrit en 2020, Paula Andrea Salles Navarro souligne que, malgré la forte prévalence de la maladie dans la population féminine, «les mécanismes sous-jacents de l'infertilité liée à l'endométriose ne sont pas encore totalement compris». Cette maladie entraîne des problèmes sur l’ensemble de l’appareil génital féminin, allant de  «modifications anatomiques pouvant nuire au transport des gamètes et des embryons» jusqu'à la réduction de la réceptivité de l'endomètre et la présence de fluides altérant le bon fonctionnement des spermatozoïdes.

                                                      

Faits et chiffres

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Des progrès ont été réalisés ces dernières années dans l’amélioration de la santé mondiale. Par exemple, 146 des 200 pays ou zones ont déjà atteint ou sont en voie d’atteindre la cible concernant la mortalité des enfants de moins de 5 ans. Le traitement efficace du VIH a fait baisser de 52% le nombre de décès liés au sida dans le monde depuis 2010 et au moins une maladie tropicale négligée a été éliminée dans 47 pays.

Cependant, des progrès insuffisants ont été réalisés dans d’autres domaines, tels que la réduction de la mortalité maternelle et l’élargissement de la couverture sanitaire universelle. À l’échelle mondiale, en 2020, environ 800 femmes décédaient chaque jour de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Par ailleurs, en 2019, 381 millions de personnes avaient basculé ou s’enfonçaient toujours plus dans l’extrême pauvreté en raison des dépenses directes de santé.

La pandémie de Covid-19 et les crises en cours ont entravé les progrès vers l’objectif 3. La vaccination des enfants a connu la plus forte baisse en trois décennies et les décès liés à la tuberculose et au paludisme ont augmenté par rapport aux niveaux d’avant la pandémie.

Pour surmonter ces difficultés et combler les lacunes de longue date en matière de soins de santé, il faut investir davantage dans les systèmes de santé pour aider les pays à se relever et renforcer leur résilience face aux futures menaces sanitaires.

Par Danielle Castro

Folha de S.Paulo