Maître de conférences en économie et gestion, Université de Lorraine UFR ALL Nancy - Dpt LEA Chercheur associé, Laboratoire VIPS2 (EA 4636) Université de Rennes 2 - UFR STAPS
Au Maroc, l’essor de la pratique du sport en entreprise en vue de promouvoir le bien-être en milieu professionnel devient un outil d’influence pour le rayonnement du pays à l’échelle du continent africain. Toutefois, son plein potentiel n’est pas atteint, du fait de limites institutionnelles et de l’absence de certains acteurs dans le développement de ces activités, majoritairement gérées par les entreprises. Au cours des dernières années, le sport au travail a suscité un intérêt croissant, tant auprès des entreprises que des universitaires ; de nombreuses recherches se sont également penchées sur les pratiques managériales liées au sport.
La Marocaine des jeux et des sports (MDJS) et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), convaincues des bienfaits du sport sur le bien-être physique et mental des employés, ont créé en avril 2019, l’Association pour la promotion du sport en entreprise au Maroc (APSEM). Cette initiative a conduit à l’organisation du premier forum africain sur le sport en entreprise qui s’est tenu à Casablanca en septembre 2022. Début 2024, la Fédération marocaine des professionnels du sport (FMPS) a lancé le label «société sportive», destiné à valoriser les entreprises marocaines en intégrant le sport dans leur stratégie organisationnelle. L’activité sportive stimulerait à la fois le bien-être des employés ainsi que leur capacité de travail. Mais comment ces initiatives s’intègrent-elles à un écosystème d’affaires global? Peuvent-elles devenir un moteur de transformation économique et sociale au Maroc? Et comment le pays, grâce à cette initiative, pourrait-il accroître son rayonnement sur le continent?
La portée mondiale des activités physiques en milieu de travail
Les programmes d’activité physique en entreprise représentent une stratégie prometteuse pour améliorer la santé des employés et la performance organisationnelle. Face à la hausse mondiale des maladies liées à la sédentarité, telles que l’obésité et les troubles musculo-squelettiques, ces initiatives présentent l’avantage de réduire les comportements sédentaires et de stimuler la productivité.
Des études (Brinkley et al., 2016; Dabkowski et al., 2023; Zhu et al., 2019) mettent en évidence l’effet positif des environnements de travail adaptés à la baisse de la sédentarité – à l'instar des bureaux assis debout ou des pauses d’exercice – lorsque ces derniers sont accompagnés de politiques organisationnelles appropriées. Cependant, des obstacles persistent notamment en matière de financement et d’adhésion des salariés. Parmi les freins identifiés figurent le manque de motivation, l’insuffisance d’équipements, la charge de travail et a fortiori le manque de temps. Par ailleurs, les résultats varient en fonction de plusieurs paramètres, tels que les profils des salariés, la taille des organisations participantes, les types d’activités proposées et les ressources disponibles. Ces variations soulignent la nécessité d’adapter les programmes aux réalités locales pour en maximiser leur efficacité.
Contexte marocain
Le Maroc connaît une progression alarmante de l’obésité comme le révèlent les rapports World Obesity Atlas 2023 et ceux de 2024. D’ici 2035, 46% des adultes marocains seront obèses, avec une hausse annuelle de 2,7% depuis 2020. L’obésité infantile progresse encore plus rapidement avec une hausse de 5,2% par an. En 2016, 26,2% des adultes et 87,3% des jeunes pratiquaient une activité physique insuffisante.
Sur le plan économique, le rapport World Obesity Atlas 2023 estime que le surpoids coûtera 7,3 milliards de dollars en 2035, soit environ 3,8% du PIB du Maroc, en raison des dépenses de santé et des pertes liées à l’absentéisme, au présentéisme et aux décès prématurés. Cette situation appelle des politiques de prévention urgentes qui combinent des mesures de sensibilisation, de régulation alimentaire et de promotion de l’activité physique notamment via des initiatives comme le sport au travail.
Une tendance facilitée par des outils institutionnels
Créée en avril 2019, l’APSEM, susmentionnée, encourage la pratique des activités physiques en milieu professionnel. Ses principales missions incluent l’organisation d’événements sportifs en entreprise et la sensibilisation aux bienfaits du sport au travail. L’association a également élaboré une charte pour encadrer ces pratiques et lancé un site web pour faciliter l’adhésion des entreprises. En outre, en 2024, la Fédération marocaine des professionnels du sport a lancé le label «Société sportive» afin de promouvoir l’intégration du sport dans la culture d’entreprise au Maroc. Il valorise les entreprises engagées dans le développement d’activités physiques auprès de leurs collaborateurs et renforce leur attractivité sur le marché du travail, en positionnant ces entreprises comme des références en pratiques managériales responsables.
Ce label repose sur des critères tels que l’organisation d’événements sportifs, la mise à disposition d’infrastructures adaptées et le déploiement de campagnes de sensibilisation. Les entreprises labellisées s’acquittent d’un montant de 7 000 dirhams (environ 700 euros) afin de l'utiliser. Pour sa première édition, 14 entreprises de secteurs variés –finance, technologie, santé, énergie et loisirs– se sont distinguées, parmi lesquelles Axa Assurance, Capgemini, Intelcia, et TotalEnergies. L'événement des Jeux marocains du sport en entreprise (JMSE) s'est imposé, en trois ans, comme un rendez-vous annuel majeur au Maroc.
En juin 2024, leur troisième édition a rassemblé plus de 2 000 salariés issus de 80 entreprises venant de divers horizons professionnels et géographiques. Pendant trois jours, les participants ont rivalisé dans 13 disciplines sportives. Plus qu’un simple événement, les JMSE sont devenus une vitrine pour les entreprises, afin de promouvoir leur engagement en faveur du bien-être de leurs collaborateurs et leur image d’employeur.
Un nouvel outil de soft power marocain en Afrique
Le Maroc renforce sa diplomatie en intégrant le sport dans des initiatives novatrices, telles que le premier Forum africain du sport en entreprise organisé en 2022. Cet événement inédit, à l’échelle du continent, a réuni des décideurs publics et des entreprises. Il montre les efforts de Rabat dans la promotion de l’activité physique en milieu professionnel et affirme aussi le rôle du sport comme levier d’un écosystème managérial innovant. Ce forum incarne l’ambition marocaine de devenir un acteur régional clé dans la promotion du bien-être en entreprise. Inspiré par le rôle mondial du sport comme outil de diplomatie et de rayonnement international, cet engagement s’inscrit dans une stratégie plus large, illustrée par l’organisation de la CAN 2025 et la co-organisation de la Coupe du monde 2030. Le Maroc s’approprie ainsi pleinement du sport en tant qu’outil d’influence sur la scène internationale, en particulier, à l’échelle de l’Afrique.
Malgré des avancées significatives, notamment à travers les entreprises labellisées «Société sportive», la promotion des activités physiques en milieu professionnel au Maroc reste majoritairement portée par des multinationales et de grandes entreprises qui concentrent des ressources importantes. Cela laisse de côté une grande partie du tissu économique marocain, en particulier les très petites et moyennes entreprises (TPME) ainsi que les structures publiques. Il est donc crucial d’élargir cette initiative en proposant des solutions accessibles à ces acteurs.En outre, pour optimiser l’impact de ces programmes, il faudrait encourager la recherche scientifique sur les effets des activités physiques en milieu professionnel au Maroc. Des données nationales permettraient d’évaluer concrètement leurs bénéfices sur la santé, la productivité et la compétitivité des entreprises, tout en orientant les politiques publiques en vue de mobiliser davantage d’autres acteurs économiques, encore exclus de ce secteur en pleine expansion.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation