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Mythe Par Mohamed Ali Mrabi
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États-Unis: La dette étudiante, une menace pour les universités

Par Alessia LEFEBURE | Edition N°:6858 Le 03/10/2024 | Partager

Alessia Lefébure est directrice des études, sociologue des organisations, École des hautes études en santé publique (EHESP) (Ph. AL)  

Suivre une formation universitaire reste-t-il un investissement pertinent lorsque cela suppose de s’endetter pour des dizaines d’années? Une partie croissante des jeunes Américains considère que les bénéfices de leurs diplômes n’en justifient pas le prix. Alors que la Cour suprême a bloqué la tentative de l’Administration Biden d’alléger le fardeau de cette dette, la situation met sous pression les universités et divise le champ politique. Université de Ljubljana, été 2015.

Un homme discute avec des étudiants au milieu du campus: «Aux États-Unis, les jeunes accumulent des dettes de plusieurs dizaines de milliers de dollars, parfois même plus de 100.000 dollars par étudiant.» Les étudiants slovènes sont surpris. L’une d’elles s’exclame: «C’est insensé!»

Dans le documentaire Where to Invade Next (2016), le réalisateur américain Michael Moore explique à ses compatriotes que la dette étudiante n’est pas inéluctable et que, dans la plupart des pays européens, l’éducation est largement financée par l’État. En Slovénie, Moore rencontre des jeunes qui ignorent même le concept de dette étudiante et peinent à comprendre pourquoi l’éducation est si coûteuse aux États-Unis.

Si les Américains semblent méconnaître la gratuité des études en Europe, les jeunes Européens ignorent souvent l’ampleur de la dette étudiante aux États-Unis. La gratuité des études en France contraste fortement avec le système américain, où l’éducation est perçue comme un investissement individuel plutôt que comme un droit. La dette génère un stress important pour les jeunes diplômés américains, qui entament leur carrière avec des remboursements de prêts à long terme, ce qui représente un défi économique majeur pour chaque étudiant en particulier et pour le pays en général. La dette étudiante est également une préoccupation majeure pour les dirigeants d’universités américaines, surtout en cette rentrée marquée par un contexte économique, social et politique complexe.

La dette étudiante, une question prioritaire

Alors que l’année universitaire précédente a été scandée par des mobilisations étudiantes et des tensions sur plusieurs campus conduisant à des démissions de présidentes, la question de l’endettement continue d’affecter l’accès aux études supérieures et le quotidien des étudiants, constituant un enjeu central pour l’avenir des institutions académiques aux États-Unis.

En juin 2024, la dette étudiante américaine atteignait environ 1.700 milliards de dollars, soit une augmentation de 42% en dix ans, selon le Pew Research Center. Un quart des adultes de moins de 40 ans sont concernés par cette dette, contre seulement 4% des plus de 50 ans. La dette médiane par emprunteur de niveau Bachelor est d’environ 25.000 dollars, mais pour un diplômé de troisième cycle sur quatre, elle dépasse les 100.000 dollars. La crise de la dette étudiante aux États-Unis prend de plus en plus d’ampleur, avec environ 43 millions d’Américains concernés.

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Le 17 septembre 2024, des étudiants de l’Université de New York et des passants échangent lors du National Voter Registration Day  (Ph. Shutterstock)

L’augmentation générale des frais de scolarité a poussé les étudiants à emprunter davantage, portant la dette totale à des niveaux records. Ce problème, loin d’être marginal, s’invite dans tous les débats économiques et politiques, notamment à l’approche des élections de 2024. Plus de 60% des Américains considèrent cette question comme prioritaire, et une majorité soutient des mesures d’annulation de la dette étudiante. L’Administration Biden a tenté d’alléger le fardeau de la dette via le programme Saving on a Valuable Education (SAVE), lancé en septembre 2023. Ce plan cherchait à rendre les remboursements plus abordables et à autoriser une annulation partielle des dettes sous certaines conditions. Cependant, en août 2024, une cour d’appel a bloqué l’initiative, soulevant des questions constitutionnelles sur le pouvoir de l’exécutif à agir sans l’aval du Congrès. Ce blocage reflète les difficultés auxquelles les démocrates font face pour tenir les promesses de campagne, alors que la question de la dette étudiante reste un enjeu majeur.

Plusieurs décennies de tentatives d’effacement de la dette

Les tentatives d’effacement de la dette étudiante aux États-Unis remontent à plusieurs décennies, caractérisées par des réformes contradictoires et des résistances politiques. Sous la présidence de Clinton, dans les années 1990, le programme Direct Loan a permis aux étudiants d’emprunter directement auprès du gouvernement fédéral, ce qui a considérablement augmenté le volume des prêts, mais peu d’options existaient pour les annuler. C’est l’Administration Bush qui, au début des années 2000, a mis en place quelques programmes d’annulation de dette, dont le Public Service Loan Forgiveness (PSLF) en 2007. Ce programme promettait une annulation de la dette après 10 ans pour les agents du secteur public, mais ses critères stricts ont limité l’accès de nombreux emprunteurs. Sous la présidence d’Obama (2009-2017), des mesures importantes ont été prises pour alléger la dette étudiante. En 2010, les prêts garantis par les banques ont été remplacés par des prêts directs, accompagnés de taux d’intérêt plus bas. Le programme Income-Based Repayment (IBR) a été élargi pour adapter les paiements en fonction des revenus, et en 2014, la période nécessaire pour l’annulation de la dette a été réduite de 25 à 20 ans. Le programme Pay as You Earn (PAYE), lancé en 2012, a également facilité le remboursement pour beaucoup. Pendant la présidence de Trump (2017-2021) aucune réforme majeure n’a été mise en œuvre. La dette a continué de croître, atteignant environ 1.500 millions de dollars en 2020. Dès son arrivée en 2021, Joe Biden a fait de la réforme de la dette étudiante une priorité, suspendant temporairement les remboursements en raison de la pandémie de Covid-19 et promettant d’annuler jusqu’à 20.000 dollars de dettes par emprunteur. Cette initiative a toutefois rencontré une forte opposition politique et judiciaire.  En juin 2023, la Cour suprême a bloqué son plan d’annulation, arguant que de telles mesures nécessitent l’approbation du Congrès. La décision de la juridiction d’appel du mois d’août dernier ne fait donc que confirmer les limites constitutionnelles du pouvoir exécutif dans cette affaire. L’issue de cette crise dépendra donc d’un compromis législatif dans un contexte de polarisation politique.

L’université, un luxe inaccessible

La dette étudiante a des répercussions économiques majeures, restreignant la capacité des jeunes à consommer et à investir. De nombreux diplômés consacrent une part importante de leurs revenus au remboursement de leurs prêts, freinant ainsi la croissance économique et la mobilité sociale. Dans un contexte de croissance modérée et de forte inflation, le pouvoir d’achat devient central pour les électeurs américains, qui voient l’université se transformer en luxe inabordable. En 2023, un jeune diplômé sur trois jugeait que le coût de son diplôme ne justifiait pas les bénéfices, ce qui peut expliquer la désaffection croissante des jeunes Américains pour l’enseignement supérieur. Par ailleurs, le taux d’abandon au cours des deux premières années d’études ne fait qu’augmenter, en particulier pour les bas revenus et les minorités.

Cette situation génère de nouvelles incertitudes financières pour les universités, en particulier les petites institutions, déjà confrontées à la chute des inscriptions post-Covid-19, à l’inflation et à l’augmentation des coûts d’exploitation. Selon un rapport de Deloitte de 2023, de nombreux établissements cherchent à diversifier leurs sources de revenus via des partenariats avec le secteur privé et des programmes en ligne. Cette transformation vise à réduire leur dépendance vis-à-vis des frais de scolarité, tout en posant des dilemmes éthiques sur leur autonomie financière. Pour faire face à la pression budgétaire, de nombreuses universités assouplissent leurs critères d’admission devenant moins sélectives. Selon le think tank néolibéral American Enterprise Institute, le taux d’acceptation a atteint 66% en 2023, contre 57% en 2021. Parallèlement, environ 1.900 établissements ont abandonné les tests standardisés SAT/ACT, facilitant ainsi l’accès à l’enseignement supérieur. Toutefois, cette ouverture n’améliore pas les chances d’admission des groupes ethniques minoritaires, notamment les Noirs américains et les Latinos, qui subissent par ailleurs des niveaux d’endettement plus élevés. Les étudiants noirs américains, par exemple, empruntent en moyenne 33.960 dollars, le montant le plus élevé parmi les différents groupes ethniques.

Face à la baisse des inscriptions d’étudiants américains, de nombreuses universités se tournent vers les candidats internationaux, en particulier dans les domaines STEM. Cette dépendance croissante, essentiellement au niveau master et doctoral, soulève des questions sur la durabilité du modèle économique des établissements. En se concentrant sur les étudiants internationaux pour compenser la perte d’étudiants nationaux, les universités risquent de négliger leur mission d’éducation inclusive, compromettant ainsi leur diversité et leur responsabilité sociale, sans compter les considérations de dépendance scientifique et géopolitique.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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