Simon H. Lee est maître de conférences en sciences atmosphériques, Université de St Andrews
Hayley J. Fowler est professeur des impacts du changement climatique, Université de Newcastle
Paul Davies est un expert international en météorologie opérationnelle au Met Office du Royaume-Uni et professeur invité à l’Université de Newcastle
Les phénomènes météorologiques extrêmes sont, par définition, rares sur notre planète. Les orages violents, les vagues de chaleur caniculaire ou encore de froid mordant illustrent ce dont le climat est capable dans ses pires moments.
Mais ce qui peut être considéré comme normal ou non est en train de changer. Comme le climat de la Terre se réchauffe rapidement, surtout du fait de la combustion d’énergies fossiles, l’éventail des conditions météorologiques possibles, y compris les conditions extrêmes, est en train de changer.
Les scientifiques définissent le «climat» comme la distribution des événements météorologiques qui peuvent être observés sur une période donnée, par exemple à travers les températures minimales et maximales, les précipitations totales ou le nombre d’heures d’ensoleillement. Ils en déduisent des mesures statistiques, telles que la température moyenne (ou normale).
Comme le temps peut s’appréhender à plusieurs échelles, de la seconde à la décennie, plus la période sur laquelle le climat est analysé est longue, plus ces analyses capturent avec précision l’éventail infini des configurations possibles de l’atmosphère.
Recours à une période de 30 ans pour décrire le climat
En règle générale, les météorologues et les climatologues ont recours à une période de 30 ans pour décrire le climat, période qui est mise à jour tous les dix ans. La période climatique la plus récente s’étend donc de 1991 à 2020. L’écart observé d’une période de 30 ans à l’autre constitue un témoignage direct du changement climatique.
Mais cette façon de représenter le climat ne tient plus la route lorsque le climat lui-même évolue rapidement. Les températures moyennes mondiales ont augmenté d’environ 0,2 °C par décennie au cours des 30 dernières années, ce qui signifie que le climat mondial de 1991 était environ 0,6 °C plus froid que celui de 2020 (en tenant compte des autres fluctuations annuelles), et d’autant plus froid qu’aujourd’hui.
Un horizon mouvant pour les modélisateurs
Si le climat consiste en une gamme d’événements météorologiques possibles, ce changement rapide a deux implications.
Tout d’abord, cela signifie que tous les événements météorologiques observés pendant une période climatique de 30 ans ne se sont pas produits dans le même contexte climatique global. Ainsi, les vents du nord dans les années 1990 étaient beaucoup plus froids que ceux des années 2020 dans le nord-ouest de l’Europe, en raison du réchauffement de l’Arctique près de quatre fois plus rapide que la moyenne mondiale. Autrement dit, les statistiques d’il y a trois décennies ne représentent plus ce qui est possible aujourd’hui.
Deuxièmement, l’évolution rapide du climat signifie que nous n’avons pas nécessairement encore rencontré tous les phénomènes météorologiques extrêmes que la chaleur actuellement stockée par l’atmosphère et les océans peut produire. Dans un climat stable, les scientifiques disposeraient de plusieurs décennies pour que l’atmosphère adopte diverses configurations et provoque toute une palette d’événements extrêmes (vagues de chaleur, inondations et autres sécheresses). Nous pourrions alors utiliser ces observations pour comprendre tout ce dont le climat est capable.
Mais dans le climat actuel en évolution rapide, nous ne disposons que de quelques années, ce qui n’est pas suffisant pour découvrir tout ce dont ce climat changeant est capable.
Jouer avec le feu
Pour mieux comprendre ces extrêmes, les scientifiques peuvent utiliser des ensembles de modèles, où l’on fait tourner à plusieurs reprises les modèles météorologiques ou climatiques en faisant légèrement varier les conditions initiales, afin de présenter un éventail de résultats plausibles. Les prévisions d’ensemble sont couramment utilisées pour les prévisions météorologiques, mais elles peuvent également servir à évaluer le risque d’événements extrêmes qui pourraient se produire, même s’ils ne se produisent finalement pas à ce moment-là. Lorsque les prévisions d’ensemble des météorologues britanniques ont vu apparaître 40 °C pour la première fois, avant la canicule de juillet 2022, elles ont en réalité révélé le type de conditions météorologiques extrêmes qui étaient désormais possibles dans le climat actuel.
Même si cette prévision ne s’était pas concrétisée, sa seule apparition dans les modèles montre que l’impensable est désormais possible. En l’occurrence, plusieurs facteurs atmosphériques d’origine naturelle se sont combinés au réchauffement climatique de fond pour créer le record de chaleur enregistré le 19 juillet de cette année-là au Royaume-Uni.
Plus tard au cours de l’été 2022, après le premier enregistrement d’une température de 40 °C, certaines prévisions météo d’ensemble pour le Royaume-Uni ont montré une situation dans laquelle 40 °C pourraient être atteints pendant plusieurs jours de suite. Cette situation aurait constitué une menace sans précédent pour la santé publique et les infrastructures du Royaume-Uni. Contrairement au précédent, cet événement ne s’est pas produit et a été rapidement oublié, mais il n’aurait pas dû l’être.
Même s’il n’est pas certain que ces simulations numériques représentent correctement tous les processus impliqués dans les épisodes de chaleur extrême, nous devons tenir compte des signaux d’alerte.
Malgré un réchauffement record de la planète, l’été 2024 a été relativement frais au Royaume-Uni (et perçu comme tel, à tort ou à raison, sur une partie de la France, ndlt). Les deux dernières années ont pourtant été marquées par des températures globales bien supérieures à tout ce qui avait jamais été observé auparavant. Ainsi, les extrêmes potentiels se sont probablement encore aggravés par rapport à tout ce que nous avons connu jusqu’à présent.
En août 2022, nous nous en sommes sortis, mais nous ne serons peut-être pas aussi chanceux la prochaine fois.
«Tempête parfaite»
Les événements météorologiques extrêmes nécessitent ce que les météorologues appellent une «tempête parfaite» (perfect storm), c’est-à-dire une combinaison de facteurs précis. Par exemple, les épisodes de chaleur extrême au Royaume-Uni nécessitent généralement le déplacement vers le nord d’une masse d’air en provenance d’Afrique, combiné à un ciel dégagé, des sols secs et une atmosphère stable pour empêcher la formation d’orages qui ont tendance à dissiper la chaleur.
Réunir toutes ces conditions à la fois de façon «parfaite» est, par définition, improbable. De nombreuses années peuvent s’écouler sans qu’elles ne se produisent, alors que le climat continue de changer en arrière-plan. Si l’on se base uniquement sur les observations, nous pouvons nous retrouver terriblement mal préparés aux nouvelles conditions que le climat peut désormais créer, si toutes les conditions météorologiques adéquates se réunissent en même temps.
Parmi les exemples récents, citons la vague de chaleur extrême qui a frappé le nord-ouest de l’Amérique du Nord en 2021, au cours de laquelle les températures ont dépassé de 4,6 °C le précédent record canadien. Ou encore les 40 °C mesurés au Royaume-Uni pendant l’été 2022, qui dépassent de 1,6 °C le précédent record britannique, établi seulement trois ans plus tôt.
C’est en partie pour cette raison que l’impact réel d’un réchauffement donné à l’échelle planétaire n’apparaît pleinement qu’après plusieurs décennies. Il va de soi que nous ne pouvons dorénavant plus utiliser cette méthode, étant donné que le climat change rapidement.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation