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Catastrophe Par Meriem OUDGHIRI
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Par L'Economiste | Edition N°:6723 Le 13/03/2024 | Partager

Une journaliste afghane réfugiée en France raconte la violence subie par les femmes de son pays à travers un livre de témoignages saillants.

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Mursal Sayas lors du lancement de son livre (Crédit: 8AM.Media)

Lorsque les talibans ont repris le pouvoir le 15 août 2021, de nombreux Afghans n'y ont vu que l'effondrement d'un gouvernement. Pour les femmes, c'était bien plus que cela. Jour après jour, les Afghanes sont confrontées aux violentes restrictions imposées par le régime des talibans, qui portent atteinte à leurs droits les plus fondamentaux. Le départ d'Afghanistan de nombreuses écrivaines qui, avec une approche féminine et empathique, partageaient autrefois les histoires des femmes et plaidaient en faveur d'un avenir meilleur pour elles, n’a fait qu'ajouter à leur détresse. Seules quelques-unes ont continué leur travail en exil, trouvant dans l’écriture une nouvelle raison d'être. Mursal Sayas en fait partie. Elle a 26 ans lorsque, quatre jours après l’arrivée au pouvoir des talibans, elle fait ses adieux à son pays avant de demander l’asile en France. Pendant des années, elle a œuvré au respect des droits humains en Afghanistan, où elle avait obtenu une licence en droit. Au moment de son départ, Mursal est encore étudiante en master de relations internationales travaillant sur des affaires juridiques de violences faites aux femmes, qu’elle documentait dans l’espoir de pouvoir un jour raconter la détresse des Afghanes au monde entier.

Devenue depuis journaliste indépendante, Mursal Sayas poursuit aujourd’hui son travail en exil. Elle vient de publier, en janvier 2024, «Qui entendra nos cris?», un livre préfacé par la philosophe américaine Ayyam Sureau. Elle y réunit les témoignages bouleversants de dix femmes interrogées dans des hôpitaux, des centres d'accueil pour femmes battues et autres institutions. Elle donne ainsi la parole à une enfant donnée en mariage, à une femme forcée à la prostitution par son mari, à une épouse réduite en esclavage par sa belle-famille, mais aussi à des femmes victimes de viol, d'inceste, ou de trahison. Elle y partage également sa propre expérience face aux violences sociales et familiales en Afghanistan. D’abord écrit en persan puis traduit en français par ses soins, le livre a déjà été tiré à 7.000 exemplaires. Pour cet ouvrage, Mursal Sayas s’est appuyée sur ses années d’expérience au sein de la commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan. Dès 2017, elle y intègre la section consacrée aux droits des femmes où elle travaille sur des affaires de famille et de violences sexistes et sexuelles et interroge des milliers de femmes dans ce contexte. Après plusieurs années, elle s’est rendu compte que la violence à l’égard des femmes dans la société s’était institutionnalisée, et que seule l’éducation pouvait conduire à des changements significatifs. C’est alors qu’elle a demandé à être transférée dans la section chargée de l’éducation au sein de la commission. Elle y travaille en lien avec des médias, des juges, des procureurs, des avocats, des agents en charge de la sécurité, des enseignants ou encore des étudiants jusqu’à ce qu’elle quitte l’Afghanistan.

Face à une presse internationale détournant progressivement son attention de la situation en Afghanistan, Mursal Sayas a décidé de publier son livre en français, espérant pouvoir compter sur une influence de la France dans l’arène politique internationale. Mais elle espère un jour voir son livre publié en persan et en pachto, à condition qu’il ne soit soumis à aucune censure. Naviguer le milieu littéraire en tant que jeune autrice n’est pas évident, mais Mursal se réjouit de voir son travail favorablement accueilli par le lectorat français. Elle pense que son ouvrage pourrait profiter à une audience internationale:  ces récits forts sont racontés d’une façon simple et directe, ce qui rend les histoires de ces femmes accessibles au plus grand nombre.

La société a besoin de ces récits, selon la journaliste, on se doit de les raconter, encore et encore, pour qu’ils s’ancrent dans l’histoire. Mursal Sayas nourrit l'espoir que les femmes des générations futures, en lisant dans son ouvrage les épreuves subies par leurs mères, ne succomberont pas à leur tour à ce genre d’abus, et qu’enfin, le cycle de la violence puisse être rompu.

Mursal planche déjà sur un nouveau recueil de témoignages ainsi qu’un roman sur la réalité du quotidien des femmes en Afghanistan. Pour elle, raconter, c’est protester, mais ce n’est pas suffisant. Passer d’un système oppressif à une société sous le signe de l’égalité sera un travail de longue haleine. D'autant que chaque jour, la condition des femmes afghanes se dégrade davantage. Mursal Sayas voit dans les récits qu’elle transmet un bon catalyste pour ouvrir les esprits obtus et vaincre l’indifférence. Autant de progrès qui pourraient, un jour, pousser cette société violente au changement.

Elle encourage d’ailleurs toutes les femmes exilées à prendre la plume, à documenter les discriminations fondées sur le genre qu’elles observent pour que le monde entier en soit témoin. En inscrivant dans l’histoire les récits des femmes afghanes, Mursal Sayas espère voir se dessiner un meilleur avenir pour les droits des femmes.

Les pires formes de violences à l'égard des femmes

Les témoignages que Mursal Sayas recueille dans son livre mettent en évidence les pires formes de violences à l'égard des femmes perpétrées par des hommes, parfois même avec la complicité d’autres femmes de la famille. L’autrice a la conviction que ces récits constituent de précieuses sources pour les chercheurs en droits humains, d’autant que nombre de femmes sont généralement terrifiées à l’idée de s’exprimer publiquement sur ces abus. Parmi les Afghanes qu’elle a interrogées, certaines lui ont même confié éprouver une forme de honte en racontant leur histoire. C’est d’ailleurs ce qui a convaincu Mursal de devenir le porte-voix de ces femmes réduites au silence ou ignorées.

Par Fatema Sarkash

Hasht e Subh

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Cette publication fait partie du programme «Vers l’égalité», dirigé par Sparknews, une alliance collaborative de 16 médias internationaux mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des sexes.