×
Vérité
Vérité Par Ahlam NAZIH
Le 03/05/2024

Vous avez beau cacher la vérité, la maquiller, la retourner dans tous les sens, elle finit par ressurgir pour vous cracher à la figure et vous mettre devant vos responsabilités... + Lire la suite...

Recevoir notre newsletter

L’économie africaine entre endettement excessif et investissements insuffisants

Par Françoise RIVIÈRE - Matthieu MORANDO - - | Edition N°:6693 Le 31/01/2024
Partager

Françoise Rivière est responsable de la cellule Economie et Stratégie au sein du département Afrique de l’AFD depuis 2020

Statisticien-économiste diplômé de l’ENSAE, Matthieu Morando est le macroéconomiste du département Afrique de l’AFD depuis début 2022

En 2023, le FMI estime le taux de croissance réel de l’économie africaine à +3,2%. Cette croissance, certes supérieure à celle observée au niveau mondial (+3%), est en baisse par rapport à 2022 (quand elle s’était élevée à +3,9%).

Le ralentissement de la croissance de l’Afrique est imputable à plusieurs facteurs: l’essoufflement de l’activité économique mondiale, avec un ralentissement de la demande des économies à croissance élevée comme la Chine; la réduction des marges de manœuvre budgétaires des États, qui pèse sur les dépenses publiques et donc sur la croissance; sans oublier la menace de fragmentation géopolitique du continent accrue dans le contexte du conflit en Ukraine.

Par ailleurs, malgré un recul observé en 2023 dans la moitié des pays africains, l’inflation reste globalement très élevée dans la majeure partie d’entre eux. En moyenne, elle a atteint un pic historique en 2023, dépassant le seuil des 20% (+5 points par rapport à 2022). Des différences de trajectoires entre les régions africaines sont à noter. Elles sont le reflet de la spécialisation des pays qui les composent.

Les pays à l’économie diversifiée restent les plus dynamiques, avec une croissance du PIB projetée à +3,6% en 2023 et une croissance attendue de +4,6% en 2024. Le Rwanda, l’Éthiopie, la Côte d’Ivoire et le Mozambique, pays relativement plus diversifiés que la moyenne des pays africains, affichent par exemple des taux de croissance compris entre +6% et +7% en 2023, qui figurent parmi les plus élevés au monde.

Le deuxième groupe de pays, qui rassemble les pays dépendant de ressources naturelles autres que le pétrole, a fortement pâti d’un contexte de demande défavorable en 2023 (+2% de croissance seulement), mais devrait bénéficier dès 2024 du démarrage de nouveaux projets miniers (au Liberia, en Sierra Leone et en Ouganda par exemple).

investissements-093.jpg

Malgré un recul observé en 2023 dans la moitié des pays africains, l’inflation reste globalement très élevée dans la majeure partie d’entre eux. En moyenne, elle a atteint un pic historique en 2023, dépassant le seuil des 20% (+5 points par rapport à 2022). Des différences de trajectoires entre les régions africaines sont à noter. Elles sont le reflet de la spécialisation des pays qui les composent (Ph. AFP)

Un rattrapage qui marque
le pas par rapport aux autres régions du monde

La croissance des pays pétroliers a accéléré en 2023 (+3,5%, après +2,5% en 2022), malgré les fortes variations des cours pétroliers sur la période. Enfin, la croissance continue à se raffermir dans les pays touristiques, tels que Maurice, le Maroc et la Tanzanie.
Ce dynamisme doit cependant être relativisé par une croissance démographique qui reste prononcée et ne décroît que très progressivement, absorbant ainsi une bonne partie de la croissance économique. La fécondité reste en effet particulièrement élevée, notamment au Sahel et dans certains pays d’Afrique centrale, même si elle vient d’y enregistrer ses premiers reculs en raison de la progression des pratiques contraceptives. Du fait de ce dynamisme démographique, le produit intérieur brut (PIB) par habitant en Afrique n’a retrouvé son niveau antérieur à la crise sanitaire qu’en 2023, plus tardivement que dans les autres grandes régions du monde. Son rythme de progression est proche de ceux observés en Amérique latine et dans les économies avancées, bien plus faible que dans les pays émergents et en développement d’Asie et d’Europe.

economies-africaines-093.jpg

En 2023, les dépenses publiques représentent 24,7% du PIB, et sont couvertes à hauteur de 20,2 points de PIB par les recettes publiques et dons, et par le déficit public pour le solde (4,5 points de PIB)

Un niveau d’endettement à nouveau préoccupant

Le taux d’endettement public africain, ramené autour de 30% du PIB à la veille des années 2010 à la suite de l’initiative de désendettement des pays pauvres très endettés (iPPTE), s’est à nouveau considérablement accru, doublant sur la période 2008 2019. Il a culminé à plus de 66% en 2020 et décroît progressivement depuis. Il devrait repasser sous le seuil de 60% à l’horizon 2027, selon les projections actuelles du FMI.

L’accroissement régulier de l’endettement dans la région apparaît avant tout structurel, en lien notamment avec une mobilisation des ressources intérieures très insuffisante dans la plupart des pays et qui ne permet pas de couvrir des dépenses publiques élevées.

À cela s’ajoutent des dépenses fiscales généralement élevées et parfois mal contrôlées. De plus, les dépenses d’urgence engendrées par les crises successives constituent un facteur aggravant. Dans ce contexte de réendettement prononcé, plus aucun des trente-huit pays africains couverts par une analyse de viabilité de la dette n’est désormais classé en risque faible de surendettement.

previsions-a-partir-093.jpg

Une crise qui dépasse très largement le cadre de l’Afrique

Toutefois, il est à noter que cette crise de la dette dépasse très largement le cadre de l’Afrique, toutes les régions du monde faisant désormais face à la hausse de leur niveau d’endettement.
Dans un contexte inflationniste, les politiques monétaires restrictives, impliquant une hausse des taux directeurs des banques centrales afin de limiter l’inflation, ont eu un fort impact sur les marchés monétaires et financiers et sur le comportement des investisseurs. Si un certain nombre de pays africains étaient devenus attractifs pour les investisseurs étrangers et avaient pu émettre des eurobonds au cours de la période 2008-2019, la récente baisse d’attractivité de ces pays, du fait de la hausse des taux directeurs, a conduit les investisseurs internationaux à se repositionner massivement sur les marchés d’émission historiques. En conséquence, de nombreux pays africains n’ont plus accès aux marchés internationaux depuis le printemps 2022. De plus, la moindre implication de la Chine dans l’octroi de prêts aux pays africains depuis 2020 et une tendance générale à la baisse du financement des bailleurs pèsent sur les conditions de financement des pays africains.
De fait, le retour de conditions de financement plus onéreuses renchérit fortement le coût de l’emprunt et le service de la dette publique. La part des recettes publiques (hors dons) allouées au remboursement de la dette est désormais supérieure à 15% dans plus d’une vingtaine de pays du continent, obérant fortement les dépenses publiques à vocation sociale (santé et éducation) et les investissements publics.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

the-conversation.jpg