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Le Brésil éduque ses hommes violents

Par L'Economiste | Edition N°:6724 Le 14/03/2024 | Partager

Dans des groupes de parole à travers le pays, des hommes reconnus coupables de violences domestiques découvrent comment le patriarcat façonne leurs comportements et ce qu'ils peuvent faire pour y remédier.

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Des femmes participent à une manifestation pour marquer la Journée internationale de la femme à São Paulo, au Brésil, le 8 mars 2024

Avant, Heitor* était persuadé de savoir ce que ça voulait dire, être un homme.

«De là où vient ma famille, les hommes doivent être agressifs», explique cet homme d'affaires de 33 ans qui vit à Santo André, une banlieue de la mégapole brésilienne de São Paulo. «Si on vous attaque, vous devez riposter. Il faut subvenir aux besoins de la famille, être celui qui s’occupe de tout». Mais quand le juge lui a imposé une peine alternative de 20 séances hebdomadaires avec E Agora, José? (Et maintenant, José?), un groupe de réflexion pour les hommes reconnus coupables de violences conjugales, il ne se doutait pas qu’il lui en faudrait seulement la moitié pour commencer à changer d’avis.

«Maintenant, je vois que les femmes aussi peuvent prendre les choses en main», dit-il. «Elles sont tout à fait capables et je ne suis pas responsable de ce qu’elles font. Si je pouvais continuer à venir ici plus de 20 semaines, je le ferais probablement. J’ai eu des conversations ici que je n’aurais jamais pensé avoir auparavant».

Ce sont ces changements de perspective que des groupes comme E Agora, José? espèrent voir chez tous leurs participants. Ces avancées sont aussi le résultat d’expert·es qui ont décidé de revoir leurs priorités pour réhabiliter les auteurs de violence plutôt que de simplement les punir, afin d’éviter la récidive. Et au Brésil, qui continue d’enregistrer des taux de violences conjugales, de violences sexistes et de féminicides parmi les plus élevés au monde, un nombre grandissant de thérapeutes, procureur·es, juges et militant·es féministes estiment que ce sont maintenant aux hommes de faire le travail.

Discuter d’idéologies misogynes et patriarcales

E Agora, José? tient son nom d’un poème de l’auteur brésilien Carlos Drummond de Andrade sur les sentiments de solitude et d'abandon. Chacune de ses réunions hebdomadaires se concentre sur un thème différent – des thèmes qui incluent «ce que ça veut dire d’être un homme», «la division du travail entre hommes et femmes», «comment nous devenons des hommes» ou encore «violences sexuelles» – et permet aux hommes de discuter d’idéologies misogynes et patriarcales sous le prisme de leurs expériences personnelles.

Ce jeudi, le sujet abordé est les stéréotypes sur les hommes et les femmes. La soirée commence par un débat autour d’une idée courante: les hommes sont agressifs.

«Mais, est-ce que c’est faux?»

La question vient de Heitor. Il est assis en cercle avec sept autres hommes qui se réunissent tous les jeudis à 18 heures.

L’un des animateurs, connu sous le nom de Dentinho, a fait remarquer que l’agressivité des hommes est presque devenue invisible parce qu’elle est considérée comme naturelle dans la société et fait partie de la culture. Ce qui a amené Heitor à demander pourquoi l’agressivité des hommes est considérée comme négative.

«Il existe d'autres façons d'être un homme», avance Dentinho. «Les hommes peuvent être affectueux, émotifs, bien élevés et respectueux».

C’est une déclaration qui les fait s’enfoncer dans leurs sièges et réfléchir.

Sans ce groupe, les hommes auraient été condamnés à des peines allant de six mois à deux ans de prison pour des crimes considérés comme moins graves – notamment des menaces, des troubles à l’ordre public et des atteintes physiques ne mettant pas la vie en danger – en vertu de la loi brésilienne Maria da Penha de 2006. Le texte de loi est souvent salué comme l’un des meilleurs exemples de législation sur les violences conjugales au monde, bien qu’elle soit difficile à mettre en œuvre en raison des croyances patriarcales profondément enracinées que les programmes de groupe de réflexion tentent de contrer.

S’il est difficile de mesurer les taux de récidive en raison du grand nombre de cas de violences domestiques qui ne sont pas déclarés et du manque de suivi des affaires qui arrivent devant les procureurs, le programme a été couronné de succès d’après ses propres mesures – seulement deux des quelque 2.000 hommes ayant suivi le programme sont revenus, raconte Dentinho.

Mais il est encore difficile de déterminer si ces programmes ont un impact plus large à long terme.

Réponse globale du système à la violence domestique

«Nous savons que demander des comptes aux agresseurs et garder à l'esprit le risque qu'ils représentent sont deux éléments essentiels d'une réponse globale du système à la violence domestique», déclare Kate Fitz-Gibbon, spécialiste de la violence contre les femmes et professeure à l'Université de Monash. «Nous ne savons pas encore dans quelle mesure les programmes destinés aux auteurs de violences sont efficaces pour mettre un terme aux abus et prévenir leur escalade. Les gouvernements doivent investir dans l’évaluation de l’efficacité des interventions contre les auteurs de crimes».

Malgré le manque de données gouvernementales et de supervision au niveau fédéral des programmes au Brésil comme E Agora, José?, ceux qui existent ont rapporté un succès similaire. Une initiative lancée par la procureure Erica Canuto dans l'État de Rio Grande do Norte, dans le nord-est du pays, affiche un taux de retour de 0%. Le programme Tempo de Despertar, ou C’est l’heure de se réveiller, de la procureure Gabriela Manssur à São Paulo, a vu seulement 2% des participants récidiver entre 2014 et 2016. Avant qu'elle ne démarre son groupe, le taux de récidive était de 65%.

Alors que le groupe du jeudi soir poursuit sa discussion, Walter*, un électricien de 62 ans, dit qu’il est d’accord sur le fait que les hommes sont agressifs, mais que certaines femmes le sont aussi.

«C'est vrai», déclare Rangel, un autre animateur qui facilite la discussion, «mais il faut faire attention à ne pas blâmer les femmes pour les agressions qui leur sont infligées».

C’est la 13e rencontre de Walter avec le groupe et son point de vue a déjà commencé à changer.

«La première fois que je suis venu, je me suis demandé: «Qu'est-ce que je fais ici?”», se souvient-il. «Mais maintenant, quand ce sera fini, je pense que ça va me manquer».

                                               

Des violences en hausse

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Selon le dernier rapport du Forum brésilien de sécurité publique sur la violence contre les filles et les femmes, le nombre de féminicides a augmenté de 2,6% au premier semestre 2023 par rapport à l'année précédente, pour atteindre 722 meurtres. Un rapport annuel de 2019 de Human Rights Watch met en lumière des milliers de cas de violences conjugales au Brésil qui ne font pas l'objet d’enquêtes chaque année et les nombreuses affaires qui ne font jamais l'objet de poursuites. Le rapport mondial de 2023 de l’ONG note également qu’en septembre 2022, seuls 77 foyers pour survivantes de violences conjugales étaient ouverts, dans un pays de 215 millions d’habitant.es. Sous le président de l’époque, Jair Bolsonaro, le budget fédéral de 2022 dédié à la lutte contre les violences sexistes a été réduit de 90% par rapport à 2020, une décision que beaucoup d’expert.es ont jugé de désastreuse, alors que les taux de violences au sein du couple ont grimpé en flèche pendant la pandémie.

Le président actuel, Luiz Inácio Lula da Silva, avait approuvé la loi Maria da Penha lors de son premier mandat présidentiel. En 2023, il a modifié le texte afin de prévoir des mesures de protection immédiates pour les femmes dès lors qu’elles signalent des violences à la police, et ce quelle que soit leur relation avec l'agresseur. Il a également inclus dans la loi une disposition garantissant six mois de loyer pour les victimes de violences conjugales qui sont socialement et économiquement vulnérables.

                                               

Des faits et des chiffres dans le monde

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des-faits-et-des-chiffres-024.jpg, par hlafriqi

- Plus de cinq femmes ou filles sont tuées toutes les heures par un membre de leur propre famille.

- Près d’une femme sur trois a été victime de violence physique et/ou sexuelle au moins une fois dans sa vie.

- 86% des femmes et des filles vivent dans des pays où il n'existe pas de protection juridique contre la violence fondée sur le sexe.

- Dans le monde, 6% des femmes ont révélé avoir subi des violences sexuelles de la part d’une personne autre que leur mari ou leur partenaire. Néanmoins, la prévalence réelle de la violence sexuelle par un non-partenaire est probablement bien plus élevée, si l’on tient compte de la stigmatisation particulière qui est liée à cette forme de violence [18].

15 millions d’adolescentes dans le monde (âgées de 15 à 19 ans) ont été forcées d’avoir des rapports sexuels. Dans la grande majorité des pays, ce sont les adolescentes qui sont les plus exposées au risque de relations sexuelles forcées (rapports sexuels ou autres actes sexuels forcés) de la part d’un partenaire actuel (mari, conjoint, petit ami) ou ex-partenaire. D’après les données issues de 30 pays, seul 1 pour cent d’entre elles se sont tournées vers les services d’aide professionnelle.

Par Jill Langlois

Les Glorieuses

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*Les participants qui assistent au groupe sur ordre du tribunal ne peuvent pas être identifiés

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Cette publication fait partie du programme «Vers l'égalité», dirigé par Sparknews, une alliance collaborative de 16 médias internationaux mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l'égalité des sexes.