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Face aux sécheresses chroniques, l’idée de recycler les eaux usées fait son chemin

Par Timothée OURBAK - Taha LAAOUIMRI - - | Edition N°:6908 Le 16/12/2024
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Timothée Ourbak est responsable de Pôle, Agence française de développement (AFD)

Taha Laaouimri est chargé de mission eau, assainissement et agriculture, Agence française de développement (AFD)

Nos modes de vie changent et la consommation d’eau globale a été multipliée par six au cours du siècle dernier, soit deux fois plus vite que le taux de croissance démographique. Dans un contexte où les travaux de la recherche promettent plus d’évènements climatiques extrêmes, des sécheresses notamment, un processus gagne en intérêt: celui du recyclage des eaux usées. Tour d’horizon de ce procédé, de ses usages et limites.

Au niveau mondial, environ 20% de l’eau est utilisée à des fins industrielles, 10% à des fins domestiques, et le reste, soit 70% à des fins agricoles. De plus, s’il faut à un humain deux litres par jour d’eau dite potable pour sa consommation personnelle, il faut environ 3.000 litres pour produire sa ration alimentaire quotidienne.

Qui n’a pas connu, ou entendu parler de sécheresse?

 La FAO rappelle par exemple que «la production d’un kilogramme de blé nécessite environ 1.000 litres d’eau qui retournent dans l’atmosphère, alors que le riz peut en exiger deux fois plus. La production de viande requiert entre six et vingt fois plus d’eau que celle des céréales».

En parallèle, le Giec indique dans son 6ᵉ rapport d’évaluation qu’une intensification des évènements extrêmes et notamment des sécheresses nous attend.

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Eaux usées traitées réutilisées pour l’arrosage des espaces verts à Rabat

Le manque d’eau que génèrent ces épisodes arides a déjà pu avoir des conséquences inédites, fort médiatisées autour du pourtour méditerranéen notamment, avec par exemple des apports de bouteilles d’eau à Barcelone, une restriction des usages mise en place au Maroc concernant les laveurs de voitures et les hammams. Vous-même avez peut-être eu à vivre des situations de restriction d’eau pour l’arrosage domestique par exemple.

Dans ce contexte, la question de réutiliser une partie des eaux usées après traitement commence à émerger et mérite d’être mise en lumière. On appelle ce processus la REUT, pour réutilisation des eaux usées traitées.

Qu’est-ce que la REUT?

Après un traitement adapté, il s’agit de réutiliser des eaux usées, ce qui peut être qualifié d’économie circulaire de l’eau, permettant de diminuer la pression sur les eaux dites conventionnelles (eau de surface ou souterraine). L’eau peut alors être réutilisée pour de multiples usages: pour l’irrigation agricole ou un usage industriel (lavage, refroidissement, dilution de rejets) ou bien récréatif (arrosage des espaces publics). Enfin, l’eau peut être utilisée pour recharger (artificiellement) des nappes phréatiques.

De nombreux avantages, mais un panorama mondial disparate

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Dans le peloton de tête des pays qui ont recours à la REUT, outre la Namibie ou Singapour, on trouve des pays tels que l’Australie, Malte ou encore l’Espagne. En France, la question est en train de devenir une priorité, notamment suite à des années particulièrement sèches.

La REUT se distingue par ses multiples avantages. Elle garantit une gestion plus durable des ressources en eau, réduit la pression sur les eaux conventionnelles (souterraines notamment), et participe à la résilience face au changement climatique. Contrairement au dessalement de l’eau de mer, qui est énergivore et génère des rejets de saumures, la REUT offre un cycle potentiellement infini de valorisation de l’eau avec une empreinte écologique moindre, tout en contribuant à la durabilité des écosystèmes et des usages hydriques.

À cet égard, le cas d’Israël est particulièrement intéressant. Pionnier de la REUT dès les années 1960, il est le seul pays à avoir réussi à atteindre un taux de réutilisation de 85%, et montre ainsi comment cette pratique peut transformer une contrainte hydrique en opportunité économique, notamment en réduisant la dépendance aux ressources en eaux conventionnelles, en diminuant les coûts liés à l’importation de l’eau ou au dessalement, et en soutenant les secteurs comme l’agriculture irriguée ou l’industrie.

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Mais si l’on dézoome maintenant sur un ensemble plus large de pays soumis à un fort stress hydrique, comme le sud de la Méditerranée qui connaît une sécheresse critique et le Moyen-Orient, comme nous l’avons fait dans un récent article publié dans la série Question de Développement de l’Agence française de développement, on constate cependant que la situation est bien contrastée. Des pays tels qu’Israël, on l’a vu, ou encore le Koweït, soumis à un fort stress hydrique, ont des taux très impressionnants de réutilisation (85 et de 42%, respectivement). Au Koweït, la REUT est largement utilisée pour les besoins urbains, notamment l’arrosage des espaces verts et l’entretien des infrastructures publiques.

En Tunisie, où l’agriculture irriguée joue un rôle important, la réutilisation permet d’assurer une meilleure sécurité alimentaire et sanitaire en assurant un complément d’eau pour les cultures agricoles. Au Maroc, le contexte réglementaire actuel oriente la REUT principalement vers de l’arrosage urbain (espaces verts y compris récréatifs; ou nettoyage de voiries). Cependant, un potentiel reste sous-exploité dans le secteur agricole, notamment pour réduire la pression sur les ressources conventionnelles. L’agriculture périurbaine est un bon exemple de ce qu’il est possible de faire: la ville de Meknès, au Maroc, par exemple, travaille actuellement à réhabiliter sa station d’épuration. Celle-ci devrait permettre d’améliorer la qualité de l’eau, utilisée pour le moment de manière informelle des fins agricoles, ce qui peut être source de possibles contaminations.

Des freins à l’adoption de la REUT

Si les progrès techniques permettent de traiter des eaux de multiples façons, il n’en reste pas moins que la qualité de l’eau qui ressort d’une station d’épuration (STEP) est corrélée à la qualité de l’eau en entrée de STEP. Autrement dit, une eau polluée, notamment par des pollutions chimiques, sera complexe et/ou chère à traiter. Les coûts liés à la construction et à la modernisation des infrastructures de traitement restent donc un obstacle majeur, notamment pour les pays à revenu intermédiaire ou faible. L’investissement dans des réseaux adaptés pour acheminer l’eau recyclée des STEP vers les zones d’utilisation, souvent éloignées, est également essentiel.

Un autre défi majeur réside dans la perception publique. Les réticences socioculturelles, notamment liées à la sécurité sanitaire des eaux recyclées, freinent leur adoption, même pour des usages agricoles. Outre ces aspects, l’adoption de la REUT reste enfin sujette à des freins d’ordre législatifs, financiers et psychologiques comme le rappelle la chercheuse en génie environnemental Julie Mendret; freins qui peuvent être surmontés moyennant une ingénierie sociale dédiée en ce qui concerne l’acceptation socioculturelle; un cadre réglementaire et un environnement favorable à l’investissement, et des politiques fortes de soutien.

Par exemple, afin d’améliorer l’acceptation sociale, des campagnes de promotion à destination des instances décisionnelles du monde agricole, ainsi que des programmes éducatifs intégrés dans les curricula scolaires et dans les initiatives communautaires, pour sensibiliser le grand public, peuvent permettre de surmonter l’appréhension négative liée à des critères de pureté et de sécurité sanitaire de l’eau.

                                             

Une réponse prometteuse, mais non suffisante à elle seule

Cette «eau supplémentaire», extrêmement importante dans des contextes de rareté, permet d’augmenter la disponibilité en eau et ainsi l’offre. Elle ne doit néanmoins pas occulter la gestion des usages, et notamment l’effet rebond, c’est-à-dire une utilisation accrue d’une ressource suite à sa disponibilité nouvelle; que l’on retrouve classiquement lors de la mise à disposition d’une ressource supplémentaire (c’est également le cas pour l’eau dessalée).

La REUT doit ainsi être intégrée dans une gestion globale et durable des ressources en eau. Cela implique de repenser nos habitudes de consommation et de privilégier des usages plus responsables et efficaces. En réduisant le gaspillage et en optimisant les besoins, on peut mieux équilibrer l’offre et la demande, tout en préservant l’environnement et en se préparant aux défis futurs liés aux changements climatiques et à la croissance des besoins en eau. Il n’en reste pas moins que la REUT est, clairement, une solution pour lutter contre le stress hydrique.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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