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En Inde, l’énergie solaire permet aux femmes rurales de s’émanciper

Par L'Economiste | Edition N°:6720 Le 08/03/2024 | Partager

Il n’est que 9 heures du matin, et pourtant le soleil est déjà haut dans le ciel. Lad Devi et ses collègues de la coopérative laitière de Dooni travaillent déjà d’arrache-pied. Elles se pressent pour peser le lait des fermes environnantes, à mesure qu’il leur est livré, et le placer dans des réfrigérateurs, sans lesquels il se gâterait en quelques heures sous la chaleur intense de l’État désertique du Rajasthan (Inde). Ici, les températures atteignent 45 °C.

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 Le développement de l’énergie solaire en Inde offre un avantage inattendu: l’autonomisation des femmes rurales
(Ph. Rebecca Conway pour le projet Fuller)

Il y a quelques années encore, ces femmes sortaient rarement de chez elles. Lorsqu’elles le faisaient, elles se couvraient la tête et le visage, comme le veut la tradition dans cet État indien des plus conservateurs. Aujourd’hui, elles bavardent bruyamment tout en travaillant, leurs visages découverts affichant des expressions confiantes.

Ces femmes disent que leur vie a changé lorsqu’en 2014 elles se sont réunies pour former une coopérative laitière. Chacune d’entre elles élevait des vaches et des buffles, qu’elles avaient reçus en guise de dot lors de leur mariage, conformément à la tradition. Tout le lait que leurs familles ne consommaient pas leur revenait et pouvait être vendu. Mais le réseau électrique dont elles dépendaient était à la fois cher et peu fiable, et de fréquentes coupures de courant les obligeaient à jeter le lait qui ne se vendait pas rapidement.

Tout a changé en 2021, lorsqu’elles ont acheté des réfrigérateurs à énergie solaire. La facture d’électricité mensuelle de leur exploitation laitière est passée à 5.000 roupies (environ 60 dollars), soit une fraction de ce qu’elles payaient auparavant. La fiabilité de l’alimentation électrique leur a permis de doubler leurs revenus en expédiant plus de lait, tout en sachant qu’il pourrait être stocké s’il n’était pas vendu ce jour-là. Chacune d’entre elles gagne désormais près de 400 roupies par jour, un revenu qui a contribué à changer la vie de cette communauté rurale pauvre.

«Avant, si je devais sortir, je devais attendre que mon mari me donne de l’argent pour le trajet. Maintenant, j’ai mon propre argent. Je suis analphabète, mais j’ai désormais tellement confiance en moi que je peux parler à n’importe quel homme sans la moindre hésitation, ainsi qu’aux personnes qui ne viennent pas de mon village», explique Devi, une mère de trois enfants âgée de 45 ans.

En Inde, le taux d’alphabétisation des femmes reste inférieur à celui des hommes, malgré des décennies de progrès. Cet écart est particulièrement important au Rajasthan, où seules 65% des femmes sont capables de lire et d’écrire, selon les données du gouvernement. Dans cet État, plus d’une fille sur quatre se marie avant d’avoir atteint l’âge légal de 18 ans, ce qui représente un autre indicateur des inégalités entre les hommes et les femmes (voir encadré).

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Dans les zones rurales, où les perspectives d’emploi sont plus limitées, un meilleur accès à l’énergie pourrait s’avérer déterminant, selon une étude publiée en 2023 (Ph. AFP)

Beaucoup d’Indiennes, comme les femmes de Dooni, commencent par créer des groupes d’entraide, des collectifs constitués sous l’égide d’un programme gouvernemental visant à autonomiser les femmes des zones rurales et à réduire la pauvreté.

L’entreprise indienne Devidayal Solar Solutions, qui a fabriqué les réfrigérateurs solaires utilisés par la coopérative de Dooni, n’avait pas l’intention de cibler les femmes. Mais son fondateur, Tushar Devidayal, explique qu’il est rapidement apparu que les femmes étaient à l’origine d’une grande partie de la demande pour ses réfrigérateurs. Cette société est également présente en Ouganda, en Tanzanie et en Somalie et affirme que plus de la moitié de ses utilisateurs dans le monde sont des femmes.

Selco India, un autre fabricant d’appareils solaires, estime qu’environ 60 à 70% des utilisateurs de ses produits sont des femmes. CR Parthasarathy, chef de projet chez Selco India, affirme que les groupes d’entraide de femmes, comme celui de Dooni, ont stimulé la demande pour l’éclairage solaire domestique au cours des vingt dernières années, et qu’il en va désormais de même pour les équipements solaires qui peuvent aider au développement des petites entreprises.

Les femmes à la tête de la coopérative laitière de Dooni ne cachent pas que ces appareils leur ont changé la vie. Inspirés par leur démarche, d’autres villageois ont commencé à acheter des lampes solaires pour environ 1.500 roupies (soit près de 18 dollars) ainsi qu’à installer des panneaux solaires suffisamment puissants pour alimenter un ventilateur, recharger des téléphones portables et faire fonctionner quelques lampes.

Cela pourrait également changer la vie de la prochaine génération. De nombreuses femmes disent qu’elles se servent des revenus de leur coopérative laitière pour envoyer leurs enfants à l’école; une opportunité dont elles n’ont jamais bénéficié elles-mêmes tant leur culture a toujours donné la priorité à l’éducation des garçons.

«Avant, il fallait se battre pour tout», explique Geeta Devi Gujjar, une mère de trois enfants âgée de 48 ans. «Je dépendais de mon mari pour tout, mais maintenant je sais que je peux me débrouiller seule. J’ai plus de courage à présent».

                                            

Une société essentiellement rurale

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Les experts estiment que l’Inde, qui a dépassé la Chine en tant que pays le plus peuplé du monde l’année dernière, va devoir s’attaquer aux inégalités si elle veut tirer profit des avantages économiques qu’offre une jeunesse en pleine expansion. Dans les zones rurales, où les perspectives d’emploi sont plus limitées, un meilleur accès à l’énergie pourrait s’avérer déterminant, selon une étude publiée en 2023.

L’Inde reste une société essentiellement rurale: plus des deux tiers de la population vit à la campagne, d’après la Banque mondiale. Le gouvernement affirme que chaque village a désormais l’électricité, mais cette dernière est coûteuse et peu fiable. En revanche, les communautés rurales adoptent de plus en plus l’énergie solaire, et il est de plus en plus évident que les femmes comptent parmi ceux qui en bénéficient le plus.

Ces dernières années, l’Inde a installé plus de 700.000 pompes à eau solaires, ce qui évite aux femmes de devoir parcourir de longues distances pour aller chercher de l’eau et, d’encourir le risque d’être harcelées ou abusées sexuellement. L’éclairage solaire a également remplacé les lanternes au kérosène, dont les fumées toxiques affectent de manière disproportionnée les femmes et les enfants dans la mesure où ils passent plus de temps à la maison. Des appareils facilitant l’exécution de tâches ménagères, comme les machines à pain ou les réfrigérateurs à énergie solaire, ont aussi fait leur apparition dans les foyers, tout en ouvrant de nouvelles possibilités d’emploi rémunéré.

                                             

Les énergies durables pour accélérer l’égalité des sexes

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La pollution intérieure due à l’utilisation de carburants combustibles dans les ménages a provoqué 3,2 millions de décès en 2020, un problème dont les impacts sur les femmes et les enfants sont disproportionnés (Ph. AFP)

Des énergies durables, propres et abordables peuvent accélérer l’égalité des sexes, la réduction de la pauvreté et la transformation des normes sociales, mais un grand nombre de femmes n’y ont toujours pas accès. Selon les données de ONU Femmes, on estime que, si les tendances actuelles se poursuivent:

- 341 millions de femmes et de filles n’auront toujours pas accès à l’électricité d’ici 2030;

- 85% d’entre elles se trouveront en Afrique subsaharienne.

- Un accès universel à l’électricité pourrait aider à sortir 185 millions de femmes de la pauvreté d’ici à 2050.

- Un grand nombre de femmes ne peuvent toujours pas accéder à des combustibles et des technologies propres pour la cuisson des aliments.

D’ici 2030, la couverture ne devrait pas dépasser 23% en Afrique subsaharienne et 1 % en Océanie (à l’exclusion de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande).

- D’ici à 2050, l’adoption de cuisinières modernes pourrait réduire de 6,5 millions le nombre de décès dus à la pollution à l’intérieur des habitations.

- Les femmes et les filles sont plus susceptibles d’assumer le fardeau de la pauvreté énergétique et de subir les effets néfastes du manque d’accès à une énergie sûre, abordable et propre. La pollution intérieure due à l’utilisation de carburants combustibles dans les ménages a provoqué 3,2 millions de décès en 2020, un problème dont les impacts sur les femmes et les enfants sont disproportionnés.

Par Disha Shetty

Pour le Fuller Project*

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* Cet article est une version éditée d’un article plus long disponible sur le site Internet du Fuller Project.

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Cette publication fait partie du programme «Vers l’égalité», dirigé par Sparknews, une alliance collaborative de 16 médias internationaux mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des sexes.