Hicham Saadani Hassani est docteur ès sciences économiques et expert en finance de marché avec une expérience de 25 ans dans un Bureau de recherche d’analyse financière
La détérioration de la situation du chômage au Maroc devient aujourd’hui le sujet majeur auquel il faut trouver le plus rapidement les solutions les plus à même de rebooster la création d’emplois dans une économie qui, outre sa résilience plus d’une fois avérée à travers les crises qu’elle a dû affronter ces dernières années, reste promise à un bel avenir. Et ce, au regard de l’importance des projets d’infrastructures en cours de lancement dans la perspective de la co-organisation prochaine de la Coupe du monde en 2030. Le constat en la matière semble au seuil de l’alarmisme avec la destruction de 157.000 postes d’emploi entre les années 2022 et 2023 pour un taux de chômage qui est ainsi passé de 11,8% à plus de 13% au niveau national. Le contraste entre milieu urbain où il se situe à 16,8% contre 15,8% en 2022 et le milieu rural où il se dégrade à 6,3% vs 5,2% une année auparavant est encore plus saisissant, dénotant du rôle majeur de l’agriculture dans la dynamisation de l’emploi.
De son côté, la croissance économique semble moins profiter à la dynamique de l’emploi du moment que chaque point de PIB gagné ne crée plus au maximum que 15.000 nouveaux postes contre 30.000 auparavant car si durant les Trente Glorieuses, la corrélation entre le niveau d’investissement, la croissance et l’emploi a été prouvée en Europe, c’est bien moins le cas de nos jours même en Chine ou en Inde.
La prise de conscience concernant la sensibilité de l’enlisement de la situation actuelle de l’emploi induit, à cet effet, une grande mobilisation des efforts et des actions des responsables gouvernementaux ainsi que de bon nombre de think tanks et d’instituts notamment sur le volet de la réflexion économique.
Loin de vouloir remettre en question la bonne volonté de quiconque sur cette question, le propos de cet article est de chercher à proposer un autre angle de vue, espérant contribuer à enrichir le débat et à faire émerger de nouvelles idées.
De prime abord, la création d’emplois ne se décrète pas dans une économie libérale ou même socio-libérale. Pour avoir des effets économiques et sociaux pérennes, elle ne peut résulter que de la dynamique des investissements, laquelle dépend aussi bien des perspectives du pays de son climat des affaires, de l’état de ses infrastructures que de la qualité de sa main-d’œuvre.
La Coupe du monde 2030 pourrait être le principal catalyseur
Au niveau des perspectives, le Maroc ne peut rêver d’une meilleure posture avec des projections qui tablent sur un possible doublement de son PIB à près de 300 milliards de dollars à horizon 2035. Cela supposerait un taux de croissance de 6% par an sur les 11 ans à venir, sachant que les estimations actuelles pour 2024 et 2025 ne dépassent pas respectivement 3% et 4%. Il faut donc réussir rapidement à impulser le reliquat manquant pour atteindre la cible visée. La préparation en cours du pays pour la co-organisation de la Coupe du monde 2030 pourrait en être le principal catalyseur. Tant mieux car même si le Maroc reste le deuxième pays le mieux doté en infrastructures en Afrique, cet évènement nécessite de lourds investissements publics (et même privés dans le cadre de concessions ou de financements innovants) dans des projets sportifs, routiers, aéroportuaires, ferroviaires et hôteliers qui génèrent beaucoup d’emplois notamment en absorbant une grande partie de la main-d’œuvre agricole inactive en cas de persistance de la sécheresse.
De son côté, le climat des affaires a fait l’objet de plusieurs réformes structurelles appelées à en améliorer la situation. La promulgation de la nouvelle charte des investissements, aux standards internationaux les plus évolués, devrait en être le propulseur. D’autres améliorations restent attendues en matière de gouvernance particulièrement locale et d’allègement des traitements bureaucratiques toujours chronophages. De même, l’attention particulière souhaitée en direction des PME, véritables indicateurs de la réussite de ce type de programme, tarde à voir son dispositif de soutien entièrement complété.
Déclencher le momentum qualitatif
Au-delà des opérations ponctuelles de reskilling et d’upskilling du capital humain, aujourd’hui semble propice pour déclencher le momentum qualitatif qui nous manque à ce niveau pour mieux orienter les futurs candidats au marché du travail vers les filières qui seront demandées demain par les investisseurs et éviter ainsi de créer encore plus de chômeurs diplômés car non adaptés aux besoins recherchés.
Il ne suffit plus de former pour former mais il faudrait orienter davantage de jeunes vers les formations professionnelles tout en créant des passerelles avec les études académiques. Pour cela, il serait souhaitable d’élever l’expression: «Il n’y a pas de sot métier, il n’y a que de sottes gens» en devise pour redonner son juste titre à la revalorisation sociale des métiers dits «manuels» et de ceux des «cols bleus».
Atténuer l’impact des pertes d’emplois
D’autres pistes seraient aussi à explorer pour atténuer l’impact des pertes d’emplois agricoles dans le monde rural en y favorisant l’installation de zones industrielles notamment liées à des activités agroalimentaires ou d’artisanat. Artisanat qui, à mon sens, mériterait dans certaines filières, une plus grande mécanisation pour faire face à la contrefaçon asiatique et particulièrement chinoise, laquelle n’a aucun scrupule à reproduire industriellement les joyaux du «handcraft» marocain et d’en gagner avec les marchés à l’international.
Vient alors la question du facteur travail, main-d’œuvre et matière grise, qu’il faut qualifier pour pouvoir répondre dans les meilleures conditions de compétences et de temps aux besoins à venir des entreprises. Beaucoup d’efforts ont été entrepris à ce titre et se sont matérialisés par la multiplication sur l’ensemble du pays tant des bâtisses du savoir dans la formation tant académique que professionnelle. Mais jusqu’à présent, c’est avant tout le quantitatif qui a été privilégié, ce qui est compréhensible au moment où il fallait faire face aux pressions du moment.
Miser sur le privé et non sur les grands travaux
Ce n’est pas sur la politique des grands travaux qu’il faut miser car il est avéré que même si ces projets impulsent une dynamique certaine au départ, ils ne créent que des emplois souvent courts dans le temps et peu productifs. Ce qui nous amène à la nécessité d’encourager les investissements privés afin de créer de nouveaux emplois le plus majoritairement dans le secteur formel via des «incentives» claires et au process d’attribution complètement transparents. Ce n’est pas un luxe mais une nécessité car le coût économique et social de chaque nouveau poste créé peut devenir une contrainte pour l’investissement.
Or, si l’on tient compte des données relatives aux 115 projets d’investissement autorisés par la commission gouvernementale ad hoc jusqu’à fin mai 2024, ils représenteraient des engagements de 173 milliards de dirhams pour 69.000 créations d’emplois attendues emplois, ce qui revient à 2,5 millions de dirhams par poste. Si la nature des activités ciblées (défense et gigafactories principalement) peut expliquer l’inflation des coûts, il faut garder à l’esprit que ce sont les activités davantage traditionnelles qui peuvent créer le plus d’emplois, comme, entre autres, le tourisme, le textile, le retail et l’agroalimentaire qu’il faut également intégrer, au plus haut niveau, dans les incitations de la charte d’investissement. Le coût unitaire de 500.000 dirhams par emploi des 42 projets de taille relativement moyenne validés en début d’année 2024 confirme cette constatation, sachant qu’en réalité le coût par poste, toute nature et taille d’entreprises comprises, ne dépasse pas les 150.000 dirhams par nouveau poste.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation