Stocks stratégiques des produits pétroliers: Le Maroc à la recherche d’une solution

Lauréat de l’ISCAE, Omar Elfetouaki est un ancien responsable au sein du ministère de l’Energie et des Mines. Il est actuellement consultant dans le domaine de l’énergie
Une année après la publication du rapport de la Cour des comptes (10 janvier 2017) sur la situation préoccupante des stocks des produits pétroliers, le ministre de l’Energie, des Mines, de l’Eau et de l'Environnement, en guise de réponse implicite, a pris des dispositions importantes que son département compte mettre en œuvre pour tenter de résoudre le problème du stockage du secteur pétrolier.
En effet, dans son intervention à la Chambre des représentants, lundi 18 décembre 2017, le ministre a invité les sociétés de distribution des produits pétroliers à investir davantage dans le développement des infrastructures pétrolières notamment dans les installations de stockage pour réduire le déficit structurel que connaît le secteur dans ce domaine.
Le ministre a ainsi incité ces sociétés à augmenter leur capacité de stockage de 60% d’ici à fin 2021. Il a également assuré que d’importantes mesures d’accompagnement seront mises en œuvre afin de permettre l’assouplissement des procédures encourageant l'investissement en matière des hydrocarbures et toutes autres actions ayant trait à leur stockage. Il a aussi annoncé que le volume des investissements des sociétés se monte à 2,2 milliards de DH durant la période 2017-2021. Passé ce délai, des sanctions seront prises contre les sociétés qui n’auraient pas respecté ces échéances.
Rien ne saurait justifier tout retard dans l'adoption de ce programme, d’autant plus que la situation n’est plus la même: la libéralisation des prix de vente au public et surtout après la suppression de la péréquation, on espérait que les sociétés de distribution amélioreraient leur capacité de stockage et le niveau des stocks stratégiques.
A tout prendre, c’est une bonne initiative. Si le ministre arrive à convaincre les sociétés de distribution à avoir leur quote-part de stocks réglementaires, il aura gagné là où ses prédécesseurs ont échoué. Il aura même décroché la timbale.
Il faut dire que le problème de stockage ne date pas d’hier. Depuis la création du département de l’Energie, les ministres qui se sont succédé à sa tête n’ont jamais pu régler, comme elle se doit, la problématique du stockage des produits pétroliers. Plus le temps passait, plus l’obligation devenait de plus en plus grande et les sociétés de distribution se trouvaient dans l’impossibilité de financer l’investissement pour la construction des capacités de stockage, ou de pouvoir acquérir le produit.
Néanmoins, d’autres mesures devraient faire partie de celles annoncées par le ministre.
Comme souligné à maintes reprises et dans l’état actuel du secteur, il est presque impossible qu’une société puisse disposer de ses propres dépôts pouvant contenir ses obligations de stockage. Les stocks stratégiques, à l’instar des pays qui les détiennent, doivent être concentrés dans un nombre limité de sites, afin d’en diminuer le coût, réduire les frais d’entretien, en faciliter le contrôle et améliorer le système de suivi qui permettrait d’informer de manière continue sur l’état des stocks. Seul un dépôt communautaire pourrait résoudre convenablement ce problème.

Les stocks stratégiques, à l’instar des pays qui les détiennent, doivent être concentrés dans un nombre limité de sites, afin d’en diminuer le coût, réduire les frais d’entretien, en faciliter le contrôle et améliorer le système de suivi qui permettrait d’informer de manière continue sur l’état des stocks. Seul un dépôt communautaire pourrait résoudre convenablement ce problème (Ph. AFP)
Par ailleurs, il aurait été judicieux de définir la responsabilité des distributeurs et celle de l’État en cas de crise qui peut déboucher, qu’à Dieu ne plaise, sur une pénurie qui serait difficilement gérable. Cette responsabilité n’est pas claire dans les textes actuels qui régissent le secteur de la distribution. Auparavant, la responsabilité du secteur se confondait avec celle de l’État gestionnaire.
Actuellement, après la libéralisation du secteur, cette responsabilité se trouve diluée entre les distributeurs et l’État. Il est à noter que dans les conditions normales du marché, la politique pétrolière se caractérise par une diversification de notre approvisionnement en produits pétroliers, laissée aux choix des distributeurs importateurs.
Les sociétés de distribution ne sont pas responsables d’une pénurie qui toucherait le pays en entier au cas où un événement venait à perturber le marché international: guerre, climat, décision politique, etc. Il est évident que seuls les stocks stratégiques peuvent nous prémunir des aléas de la conjoncture internationale.
Même si aucun événement malencontreux ne s’est pas produit, ces stocks stratégiques, une fois constitués, malgré leur caractère quantifiable, peuvent être considérés comme un patrimoine immatériel national. L’État doit, par conséquent, jouer un rôle de régulateur destiné à faire aboutir sa politique de sécurité d’approvisionnement.
Patrimoi ne géologiquenational
De l’avis de nombreux experts, le stockage souterrain reste, de loin, très compétitif par rapport au stockage de surface. Il est également considéré comme un moyen sûr en matière de sécurité publique et de respect de l’environnement. Au moment où les décideurs du secteur pétrolier s’apprêtent à investir dans les installations de stockage, il est légitimement à propos de rappeler que le Maroc dispose de galeries souterraines appartenant à la société des mines de sel de Mohammedia qui peuvent subir une simple reconversion, en champs de stockage dont la capacité pourrait loger la totalité des obligations des stocks stratégiques du pays. Il s’agit là de la mise en valeur de notre patrimoine géologique national, source de richesse économique et stratégique du pays.
Et la marge spéciale?
Dans son intervention à la Chambre des représentants, le ministre a passé sous silence la marge spéciale pour le financement des stocks, collectée par les distributeurs et qui s’élève à 3,5 milliards de DH environ. Cette somme devrait servir à la reconstitution d’une partie des stocks stratégiques appartenant à l’État.
Parler du problème des stocks sans évoquer le sort réservé à la marge spéciale collectée dénote d’une méconnaissance de la problématique du stockage au Maroc. Il serait injuste d’oublier que la somme collectée instituée en 1980 et annulée le 1er janvier 2015 est une partie de la solution sinon l’unique solution dont dispose le pays pour régler, partiellement, le problème des stocks.
Mais lorsque l’on sait qu’une journée de consommation des carburants, tous produits confondus, est estimée entre 220 et 230 millions de DH, la somme collectée reste insuffisante. La rubrique «marge spéciale pour financement des stocks» doit être introduite à nouveau dans la structure actuelle des prix de vente au public et qui sera collectée par les distributeurs et versée à l’organisme qui serait chargé de gérer les stocks stratégiques (voir Tribune du 11 octobre 2017).